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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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    Monsieur de Saint-Clair m’ayant écrit que malgré ses
efforts, il avait failli à convaincre tant les manouvriers que les laboureurs
de refaire les voies qui traversaient mon domaine, je me rendis à Orbieu fin
mars et à l’issue de la messe, je réunis tous les hommes valides à la sacristie
en présence du curé Séraphin. Je pris alors assez longuement la parole, mi en
français mi en patois (l’ayant assidûment étudié depuis ma visite hivernale),
mais malgré ces explications, mes manants ne bougèrent pas d’un pouce.
    Ils voulaient bien convenir que c’était l’intérêt de tous de
ne plus avoir tant d’embourbements et de renversements de chariots au moment
des foins, de la moisson et des vendanges avec tous les tracas, toutes les
peines et les pertes que cela entraînait. Mais quant à y mettre la main, même
pour la voie qui longeait leur propre lopin, ils s’y refusaient sous des
prétextes divers.
    L’un avait à travailler sa poterie qu’il vendait à Montfort,
l’autre, les sabots dont il fournissait le village et les hameaux voisins, un
troisième avait à tramer son chanvre ou sa laine. D’aucuns se livraient au
boisillage ; bref, les enlever à ces petits métiers hivernaux qui leur
permettaient de joindre les deux bouts, c’était quasiment leur ôter le pain du
bec. Quant aux voies, elles étaient mauvaises, assurément, mais de tous temps
on s’en était accommodé et, à les laisser en l’état, elles ne deviendraient pas
beaucoup pires. De reste, de son vivant, feu Monsieur le comte n’avait jamais
proposé qu’on travaillât à les réparer.
    En écoutant mes sujets (car j’entendais le patois mieux que
je ne le parlais), je me disais que si j’étais bien, en effet, le roi de ce
petit royaume, cette assemblée paroissiale ressemblait fort – le nombre et
l’apparat en moins – au Conseil des affaires de Sa Majesté. Ici comme là,
quand une mesure qui visait au bien général faisait l’objet d’un consensus, dès
qu’on en discutait l’application, comme par exemple, la suppression de la paulette, plus personne n’était d’accord, tant est qu’on ne faisait rien et qu’on
retombait par degrés dans l’ornière des vieilles habitudes.
    C’est pourquoi l’argument qui s’appuyait sur la passivité de
feu Monsieur le comte d’Orbieu en ce qui concernait les voies, me parut fort
redoutable, comme se réclamant, sans le dire, de la coutume, laquelle, même
lorsqu’elle consiste à ne rien faire, a beaucoup de force dans le plat pays
(comme, de reste, dans le Conseil du roi). C’est pourquoi, me penchant vers le
curé Séraphin, je lui demandai à l’oreille de contredire ce qu’on venait
d’affirmer.
    Que l’intention que Séraphin prêta alors à feu Monsieur le
comte d’Orbieu fût vraie, ou inventée dans le chaud du moment, je ne saurais
dire. Mais il l’affirma avec la dernière véhémence.
    — Détrompez-vous, mes amis ! dit-il d’une voix
forte. Feu Monsieur le comte d’Orbieu a pensé plus d’une fois à la réparation
des voies, et s’il ne l’a pas fait, c’est que le temps lui a manqué…
    Séraphin m’a dit depuis qu’il y avait belle heurette que
lui-même désirait fortement que les chemins qui conduisaient du presbytère à
l’église, et de l’église au cimetière ne fussent plus pour lui une occasion de
se crotter jusqu’aux genoux. Mais qu’on les rendît praticables, c’est ce qu’il
n’avait jamais pu obtenir jusque-là de ses ouailles.
    Son intervention, en tout cas, parut faire avancer la
discussion à en juger par le brouhaha qui suivit et qui était fait de vifs
conciliabules à mi-voix aux quatre coins de la salle. J’en conclus que le
soutien donné outre-tombe par feu Monsieur le comte d’Orbieu à mon projet lui
donnait quelque poids. J’observai aussi que Séraphin, loin de réprimer les murmures,
qu’en d’autres circonstances il n’eût pas tolérés en sa sacristie, leur lâchait
la bride, comme s’il en attendait un heureux résultat.
    Cinq bonnes minutes s’écoulèrent encore avant que Séraphin,
reprenant la parole, déclarât que si d’aucuns lui voulaient question poser, il
y répondrait.
    Le brouhaha reprit alors et il s’écoula encore quelque temps
avant que se levât un laboureur – homme de poids au propre, comme au
figuré – qui possédait des arpents assez pour se nourrir bien, soi et sa
famille. De prime, il m’ôta civilement son bonnet puis, le remettant,

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