Les Roses De La Vie
officiers royaux (dont j’étais) des œillades enflammées. Louis ne
pouvait qu’il ne détestât ces manières dévergognées et il avait pris ces
Espagnoles en aversion tant profonde que traverser cette volière de pies voleuses
et jacassantes pour visiter la reine lui paraissait chaque jour plus pénible.
Ce fut bien pis quand un jour, l’arrêtant dans sa marche alors qu’il se rendait
chez leur petite maîtresse, elles s’avisèrent de l’entourer, de l’assiéger et
de lui bailler je ne sais combien de coups de bec, se plaignant avec véhémence
qu’il négligeât son épouse, d’aucunes ajoutant même en espagnol : El
hombre che no toca a su mujer no vale nada [18] . Le
roi le prit très à la fureur et, pour une fois, incapable de réprimer son ire,
s’emporta en paroles furieuses et se retira sans visiter la reine, bien résolu
à exiger de Philippe III le retour à Madrid de ces « putains ».
Ce fut la seule fois où je l’ouïs prononcer ce mot, mais je ne doute pas qu’avant
de le laisser passer l’enclos de ses lèvres, il dut plus d’une fois le
prononcer en son for.
*
* *
Le père Arnoux, qui avait cent yeux comme Argus, et pour le
moins autant d’oreilles, avait observé le faux pas du duc de Monteleone avec un
sourire de compassion, et le furieux assaut du gynécée espagnol contre le roi
avec un haussement d’épaules. Bien qu’il se considérât, en tant que Jésuite,
comme « un soldat du Christ », il était profondément hostile aux
solutions violentes, leur préférant des moyens doux et insinuants, précédés par
un lent travail d’approche.
Il était parvenu à occuper une position de grande
conséquence entre Sa Majesté et Luynes : depuis le coup d’État du
vingt-quatre avril, il les confessait l’un et l’autre. C’est le père Cotton
qui, avant cette date, dirigeait la conscience du roi. Mais jugeant sa position
très compromise après la chute de la reine-mère, le bon père préféra prendre de
soi sa retraite plutôt que d’encourir une disgrâce. Mais, belle lectrice, vous
pensez bien que la Compagnie de Jésus n’allait pas laisser la conscience du roi
aller à vau-l’eau, j’entends sans confesseur issu de ses rangs. Or, il se
trouvait qu’un autre Jésuite, le père Arnoux, dirigeait Monsieur de Luynes et
cela avec toutes les satisfactions du monde, pour la raison que Luynes
admirait, vénérait et redoutait la Compagnie de Jésus, dont il devait soutenir
ardemment les intérêts au moment où le Conseil des affaires se demanda s’il
fallait permettre la réouverture en Paris du collège des Jésuites. Et le père
Cotton ayant quitté la Cour avec une humilité exemplaire, que pouvait faire
Luynes sinon écouter d’une oreille docile les chuchotements de son confesseur
et proposer à Louis qu’il remplaçât le père Cotton par le père Arnoux ?
Ce que fut le travail que le père Arnoux accomplit auprès de
Luynes et du roi, j’en eus quelque idée par Fogacer, lequel a plus d’une fois
traversé ces Mémoires et celles de mon père, de sa longue silhouette
arachnéenne, portant haut une tête à laquelle des sourcils noirs remontant vers
les tempes donnaient un air quelque peu diabolique. Et diable, Fogacer ne le
fut point en ses jeunes années que par les sourcils ! Car ses mœurs et son
athéisme l’avaient mis plus d’une fois en grand danger d’être brûlé. Cependant,
s’étant, avec l’âge, assagi, et renonçant aux diablotins bouclés dont il était
raffolé, il était rentré dans le giron de l’Église et si avant qu’il s’était
fait prêtre. Ses insignes talents l’avaient alors attaché en tant que médecin
et secrétaire au cardinal Du Perron. Toutefois, en l’année 1618 qui est celle
où nous sommes, le cardinal mourut et sa mort eût laissé Fogacer sans
protecteur si le nonce apostolique, remarquant sa finesse et son entregent,
n’avait pas jugé bon de l’employer comme intermédiaire entre lui-même et le
père Arnoux, lequel le nonce n’eût pu rencontrer trop souvent sans le
compromettre aux yeux de son royal pénitent.
Toutefois, dans ses entretiens avec moi, Fogacer s’exprimait
de façon si prudente et si conjecturale que je ne puis donner pour absolument
sûr ce qu’à cette occasion il me laissa entendre.
— N’est-il pas étonnant, lui dis-je, que Luynes, depuis
le coup d’État, ne se soit pas davantage attaché à rapprocher Louis de sa
petite reine, lui qui pourtant, en
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