Les Roses De La Vie
soudain frissonner de froid et le
lendemain, à la messe, il blêmit tout soudain, se pâma presque, puis se remit,
la face couverte de sueur. On le ramena dans ses appartements et le docteur
Héroard lui proposa tout de gob le remède qui guérissait à ses yeux tous les
maux : le clystère.
— Oh ! Pour cela ! dit Louis, si c’est un
flux de ventre que je voulais, je l’aurais quand et quand. Si je me retiens,
c’est de peur que vous ne trouviez pas bon que j’aille ensuite à la chasse.
— Ah ! Sire ! dit le docteur Héroard, plaise
à vous, de grâce, de ne point vous retenir davantage !
Et sur un signe qu’il leur fit, les valets apportèrent la
chaire à affaires (qu’on ne nomme plus la chaire percée sur les
instances pudibondes de la marquise de Rambouillet), et le roi, deposuit
onus ventris [20] , comme disent les raffinés. Quoi
fait, il parut tout rebiscoulé. Et fort gai derechef, il partit pour la chasse,
au cours de laquelle, je gage, il se livra aux mêmes excès que la veille.
Ce qui me frappa dans cet incident fut la conscience avec
laquelle Louis se conformait aux prescriptions d’Héroard : il ne s’avisait
même pas qu’il eût pu passer outre à son interdiction d’aller chasser. Vers la
fin de sa vie, fort malade déjà, il se rendit compte que l’infortune d’un roi, c’est
qu’il est trop soigné.
Héroard, assurément, l’aimait, mais dans un aveugle amour,
il lui donnait en effet trop de drogues, de clystères et de purges. Louis qui,
en souverain absolu, commandait à la France entière, obéissait, hélas ! à
son médecin.
Un bon soldat ne part pas en campagne sans biscuits :
Louis et Luynes n’avaient eu garde d’oublier au Louvre le père Arnoux. Mais,
chose étrange, alors même qu’il était fort pieux, Louis obéissait plus
promptement au médecin du corps qu’à celui qui soignait son âme. Au père Arnoux
qui le pressait quasi quotidiennement de « parfaire enfin son
mariage », il opposait des excuses que le Jésuite eût trouvées puériles
chez tout autre que chez le roi : la chose, plaidait-il, pouvait attendre.
Il n’y avait pas péril en la demeure. Il était bien jeune encore. La reine,
aussi. Il l’aimait, assurément, mais il ne fallait pas mettre trop de
précipitation de peur de gâter les sentiments. Bref, cette potion-là lui avait
laissé un goût trop amer pour qu’il consentît à y porter derechef les lèvres.
*
* *
Toutefois, à la fin de notre séjour au château de
Lesigny-en-Brie, j’eus un entretien avec Luynes qui me redonna quelque espoir.
Luynes m’aimait assez pour des raisons diverses : il ne voyait pas en moi
un rival dans la faveur du roi. En outre, je me contentais de jouir
paisiblement d’Orbieu sans lui disputer rien qu’il convoitât, et il convoitait
beaucoup. Et je ne lui marquais ni, de reste ne ressentais, pour lui aucun
déprisement.
Or, il était fort honni et dans la boue traîné, non
seulement par les Grands, mais par bon nombre de gens de cour, à la fois pour
de bonnes et de mauvaises raisons. On lui reprochait sa petite noblesse, à
quoi, assurément, il ne pouvait mais, et aussi sa pusillanimité – pour ne
pas dire sa couardise – et, surtout, une cupidité effrénée par laquelle il
égalait Concini, raflant tout, comme j’ai dit déjà – places, titres,
châteaux, pécunes – pour lui-même et sa parentèle innumérable. Or, Luynes
souffrait d’être l’objet de tant de haines, étant de son naturel sensible et
doux et se voulant l’ami du genre humain.
J’aimerais dire ici un mot de sa personne qui était
excessivement soignée, et prévenait en sa faveur, quoiqu’il fût, pour un homme,
joli plutôt que beau. Mais il ne faillait pas non plus en vertus, étant non
point dévot comme on le sera plus tard en ce siècle, mais sincèrement pieux, en
outre fort attaché à ses frères et à sa famille, fort affectionné au roi et
fidèle à sa propre épouse qui ne l’était pas à lui. Il parlait bien et
d’abondance, avec l’accent chantant de sa Provence, et quoiqu’il fût clos et
secret, il mettait dans ses propos et ses compliments une chaleur d’effusion
qui rendait son commerce agréable.
De cet entretien que j’ai dit, voilà comment il en alla. Au
rebours du roi, je n’ai rien d’un Nemrod, sauf à Orbieu, où il a bien fallu m’y
mettre avec Monsieur de Saint-Clair (et les chiens qu’il acheta pour moi) afin
de faire la guerre aux
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