Les Roses De La Vie
1616, les avait tous deux invités en son
château d’Amboise ? Date mémorable, puisque ce fut à cette occasion que
Louis et Anne, mariés depuis un an, mangèrent pour la première fois ensemble…
— Les circonstances changent, dit Fogacer avec un
soupir, et avec elles, les plans et les projets des hommes. En 1616, un
rapprochement entre Louis et la petite reine eût pu faire, aux yeux de Luynes,
contrepoids à l’énorme pouvoir de la régente. Mais en 1617, avec l’exil de la
régente, l’utilité d’un tel contrepoids a bien pu disparaître aux yeux d’un
Luynes, parvenu entre-temps au zénith de sa faveur.
— Incline-t-il, ce jour d’hui, à changer d’avis ?
Fogacer sourit de son lent et sinueux sourire.
— Il se pourrait. Le père Arnoux doit naturellement le
pousser dans le sens de la consommation du mariage, laquelle est passionnément
désirée par le nonce, le roi d’Espagne et la Compagnie de Jésus, et aussi par
tous les bons sujets du roi.
— Eh bien ?
— Que signifie cet « Eh bien ? », mon
jeune ami ? dit Fogacer avec un petit rire.
— Le père Arnoux a-t-il des chances d’y parvenir ?
— Il se heurte à des difficultés.
— Nées des répugnances insurmontables du roi à la suite
de l’échec de sa nuit de noces ?
— Des répugnances insurmontables ? dit Fogacer,
avec un petit brillement de son œil noisette. Voilà qui est intéressant !
D’où tenez-vous cette expression, mon ami ?
— Mais, dis-je non sans prudence, c’est ce que
j’éprouverais moi-même, si j’étais à la place du roi.
— Ah ! Mais vous ne sauriez être à sa place, jeune
et bouillant Siorac ! dit Fogacer. Le moindre vertugadin vous émeut !
Et même à dix toises, la vue d’un tétin vous grise ! Quoi qu’il en soit,
Louis éprouve d’autres répugnances que celles que vous avez dites.
— Lesquelles ?
— Vous les connaissez comme moi.
— Mais encore ?
— Avec cet ambassadeur qui, quotidiennement et à toute
heure, a libre accès à sa femme, et d’autre part, cette centaine de dames
ibériques qui le méprisent ouvertement, quoi d’étonnant si le roi tient les
appartements de la reine pour une petite Espagne où il n’a guère envie de s’aller
fourrer.
— Mais, dis-je au bout d’un moment, n’y a-t-il pas là
matière à un petit bargouin ?
— Un bargouin ? dit Fogacer en arquant son sourcil
diabolique. Entre qui et qui ?
— Mais entre le roi et le père Arnoux.
— Nenni, le roi est le roi. Il ne barguigne point.
— Alors, entre Luynes et le père Arnoux ?
— Siorac, vous êtes un futé. Et quel serait l’objet de
ce petit bargouin en votre estimation ?
— Supposons que Luynes dise au père Arnoux :
« Obtenez de Madrid, par l’intermédiaire du nonce, qu’il rappelle cet
ambassadeur malotru et qu’il rappelle ensuite en leur chaleureux pays les dames
scandaleuses, alors, ayant contenté Louis sur ces deux points, je serais plus à
même de le pousser à parfaire son mariage. »
— Siorac, dit Fogacer en riant à gueule bec, ce qu’il y
a de plaisant chez vous, c’est que vous ne vous contentez pas de poser des
questions pertinentes. Vous faites mieux : vous y répondez.
— Et les réponses sont-elles aussi pertinentes ?
— L’avenir le dira, dit Fogacer en se refermant comme
une huître.
L’avenir, en tout cas, prit tout son temps pour le dire, car
pour l’instant, Louis était si encoléré contre Monteleone, et contre les dames
espagnoles, que c’est à peine si Luynes pouvait obtenir de lui qu’il allât
visiter la pauvre petite reine cinq minutes par jour. Néanmoins, le bon travail
du père Arnoux portait déjà ses fruits. Le favori se trouvait maintenant tout
entier gagné au rapprochement des deux époux, et d’autant plus que Madame de
Luynes étant devenue la plus proche amie d’Anne d’Autriche, une union plus
intime entre époux ne pouvait qu’elle ne favorisât davantage encore la faveur
du favori.
Luynes travailla donc à rapprocher les deux époux et voici
comment il s’y prit. Louis lui ayant donné le château de Lesigny-en-Brie, il y
courut, et de retour, il fit briller devant les yeux royaux les séductions d’un
giboyeux pays plein d’étangs, de rivières et de forêts ; ainsi que les
fort aimables sites et villes des alentours. C’était tenter Louis deux fois.
Raffolé de chasse, il aimait aussi, plus qu’aucun des rois de France qui
l’avaient
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