Les Roses De La Vie
blaireaux, aux sangliers et aux renards que l’incurie de
mon prédécesseur avait laissés se multiplier dans mes forêts. Et prenant
prétexte, à Lesigny, d’un récit que j’écrivais sur son règne depuis le coup
d’État du vingt-quatre avril, j’avais obtenu de Sa Majesté la permission de ne
point la suivre en toutes ses chasses. Tant est que je me trouvais ce jour-là
au logis, et bien aise d’y être car, justement, il se mit à pleuvoir à cieux
déclos. Au même moment, j’appris de La Barge, que Monsieur de Luynes gardait la
chambre, étant mal allant, mais point gravement du tout, ajouta La Barge avec
un sourire, tout un chacun sachant à la Cour que le favori avait une tendreté
de soi-même et une douilletterie de sa propre santé qui le mettaient au lit
pour un simple catarrhe.
Je dépêchai La Barge quérir de lui si je le pouvais visiter,
à quoi il répondit que « rien au monde ne lui pouvait faire plus
plaisir ». Cela, lecteur, vous donne le ton des aménités et des
protestations dont Luynes était prodigue et par lesquelles commença notre
entretien avec beaucoup d’eau bénite et d’encens des deux parts, car il fallut
bien que moi aussi j’usasse de cette fausse monnaie, sans quoi, il fût entré en
méfiance. Après quoi, je soulevai le plus discrètement que je pus le point de
savoir s’il y avait quelque espoir que la France eût enfin un dauphin.
— Quoique en apparence, dit Luynes, les choses soient
restées en l’état qu’elles étaient, en fait, elles ont progressé beaucoup en ce
séjour chez moi.
Il s’arrêta, et m’envisagea en silence comme s’il attendait
de moi, avant d’aller plus loin, une petite bouffée d’encens, laquelle je ne
faillis pas tout de gob à lui bailler.
— Ces progrès sont sans nul doute dus à Votre
Excellence, dis-je.
— J’y ai à tout le moins contribué, dit-il sur le ton
de la modestie. Il m’a semblé que ce n’était point tant chez la reine la femme
qui rebutait Louis que son entourage espagnol. Il m’est donc apparu que, si on
chassait cet entourage, les choses en seraient facilitées.
— Mais, Monseigneur, hasardai-je avec une feinte
naïveté, les chasser sera-t-il si facile ? Il faudrait, de prime, que le
roi y soit résolu.
— Il l’est meshui.
Cela était nouveau et je n’eus pas à me forcer pour en
montrer du contentement.
— Bravo ! Bravissimo, Excellence ! Mais
Monteleone consentira-t-il à en transmettre la demande à Madrid ?
— Nenni. Monteleone va lutter là-contre des cornes et
des sabots. Nous demanderons donc à Madrid de rappeler son taureau.
La phrase était bonne et Luynes la dit avec son accent
provençal qui donnait couleur, saveur et rondeur à tout ce qu’il disait.
— Et je gage, dis-je avec un sourire connivent, que
lorsque le remplaçant de Monteleone arrivera à Paris, le roi lui refusera les
entrées libres chez la reine.
— Assurément, dit-il, et si promptement et avec un tel gusto que je soupçonnais qu’il n’avait pas pensé à cette exigence avant que je ne lui
la soufflasse.
— En bref. Excellence, dis-je, vous allez despagnoliser les appartements de la reine, et la voie, alors, sera libre pour Louis. Mais,
Excellence, s’y engagera-t-il pour autant ?
Cette réticence, venant de moi qui venait de le tant louer,
le piqua quelque peu car, oubliant son catarrhe, il se redressa sur sa couche
et dit d’un ton très assuré :
— Je suis le seul assez proche du roi pour le pouvoir
obtenir de lui et, croyez-moi, je n’y épargnerai pas mes peines…
CHAPITRE VI
Nous revînmes de Lesigny-en-Brie fin octobre et comme ni en
novembre ni en décembre il ne se passa rien de nature à donner au royaume
l’espérance d’un dauphin, je commençais à craindre que Luynes ne perdît ses
peines. Toutefois, tandis que l’incertitude continuait à peser sur nous, je me
consolais en pensant que Louis avait à peine dix-sept ans et que son père
lui-même avait commencé fort tard.
Il est vrai que notre Henri s’était ensuite beaucoup
rattrapé, n’étant pas de ceux que le péché de chair épouvante, comme bien il le
prouva quand, assiégeant Paris, il charma les lenteurs du siège en coqueliquant
avec deux nonnes, l’une à Longchamp, l’autre à Montmartre. Il n’y eut pas carte
forcée, mais ardent consentement, les pauvrettes ne se trouvant pas clôturées
de leur plein gré, mais de par la volonté de leurs parents.
Henri prit Paris et,
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