Les Roses De La Vie
avec
satisfaction un élargissement de ses tâches.
Je fus fort soulagé de cette réponse toute de bonne foi, où
pas l’ombre d’une réticence n’apparaissait. Dieu merci, la guerre des
soubrettes n’aurait pas lieu, qui aurait pu compromettre la bonne marche de la
maison et, se peut, gâter à la longue mon confiant commerce avec Saint-Clair.
Il se peut que mon lecteur opine que j’ai consacré trop de
temps et de peines à une affaire aussi mineure. Je ne sais. Une querelle entre
deux serviteurs, si on la laisse s’envenimer, peut être grosse pour le maître
de graves conséquences. Il faut dire aussi que j’étais alors habité d’un beau
zèle pour tout ce qui touchait à ma seigneurie. Et ce jour d’hui encore, tandis
que j’écris ces Mémoires tant d’années après mon installation à Orbieu, je me
ramentois avec émeuvement quel vif et profond désir m’animait alors de ménager
et de parfaire en toutes ses parties le domaine dont je portais le nom et avec
quelle allégresse je m’attelais chaque matin à cette entreprise, aucun détail,
fût-il le plus humble, me paraissant indigne de mon attention.
— Monsieur le Comte, reprit Saint-Clair, avez-vous reçu
la lettre-missive où je vous mandais qu’un feu violent avait pris à votre bois
de Cornebouc, lequel feu avait été providentiellement éteint par un violent
orage ?
— En effet, dis-je, et la nouvelle n’a pas laissé de
m’inquiéter, la température en ce pluvieux automne n’étant pas de celles qui
favorisent un feu qui éclate de soi.
— C’est aussi ce que je me suis dit. Et hier, Monsieur
le curé Séraphin, apprenant votre visite, m’a dit qu’il voulait vous voir dès
le moment de votre venue, ayant des nouvelles à vous impartir à ce sujet. Si
vous n’y voyez pas d’inconvénient, sa mule étant claudicante, j’aimerais lui
envoyer ma sédiole.
— Nenni, nenni, dis-je avec un sourire, envoyez-lui mon
carrosse attelé à deux chevaux et qu’on allume les lanternes pour éclairer la
voie ! Je voudrais qu’on sache à Orbieu que j’honore l’Église.
Je sus plus tard par Figulus que le curé Séraphin fut
excessivement touché par l’envoi de mon carrosse. « Jamais, confia-t-il à
son vicaire, jamais le défunt comte n’eût eu à mon endroit une attention
pareille ! C’est tout juste s’il ne me considérait pas comme son
chapelain, pis même, comme une sorte de valet d’écurie, tout juste bon de temps
en temps à lui nettoyer l’âme de ses crottes. »
Je vis bien à son air, quand le robuste ribaud pénétra dans
le petit salon où Jeannette venait d’allumer un bon feu – cette soirée
d’octobre se trouvant fraîchelette –, qu’il avait bel et bien des
nouvelles de conséquence à me communiquer. Mais je noulus le presser, le
sachant lent et lourd, et dès qu’il eut calé ses fortes fesses sur une chaire à
bras, je lui offris un verre de bourgogne, qu’après deux ou trois refus de
populaire politesse, il accepta. Il ne le but pas, comme j’eusse fait moi-même
à petites lampées, pour en goûter mieux le bouquet, mais à grandes goulées. Et
quand le verre fut vide, il torcha sa large bouche du dos de sa large main,
puis d’une serviette que Jeannette, ayant l’œil à tout et voletant avec
prestesse à son secours, lui tendit du bout de ses petites griffes.
— Monsieur le Comte, dit-il de sa belle voix de basse
(la seule chose que je n’aimasse point chez lui, car elle nous valait le
dimanche des messes chantées interminables), l’incendie de votre bois de
Cornebouc ne fut pas fortuit, mais dû à la malignité. Je l’ai établi par
preuves irréfragables.
Le mot « irréfragable » passant le clos de ses
dents dut lui causer un vif plaisir, car il le répéta :
— Je dis bien : des preuves irréfragables.
— Vous connaissez donc le coupable, Monsieur
Séraphin ? dis-je.
— Je connais les coupables, dit Séraphin d’un
air d’immense importance. Je connais celui qui a conçu le crime. Et je connais
celui qui l’a exécuté.
— Et qui a conçu le crime ?
— L’intendant Rapinaud.
— Rapinaud ?
— Cui prodest scelus, is fecit, dit gravement
Séraphin.
Je traduisis pour Saint-Clair :
— Il a commis le crime celui à qui il profite.
Ici le curé Séraphin et moi-même, nous échangeâmes, en
latinistes, un regard de connivence qui fit au moins autant que l’envoi de mon
carrosse pour m’établir dans son
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