Les Roses De La Vie
pourrait être
ton substitut, quand nous nous trouvons en Paris.
— Voilà qui va bien, Monsieur le Comte ! Le
direz-vous à Monsieur de Saint-Clair afin que toutes choses aillent de soi
entre cette drolette et moi ?
— Assurément. Et déchiffre-moi, maintenant, M’amie,
pourquoi tu tiens tant à être l’intendante de ma maison d’Orbieu.
À cela, elle rougit un petit, et fut un moment avant que de
répondre.
— Eh bien, dit-elle à la parfin, il ne se peut,
Monsieur le Comte, que vous ne vous mariiez un jour – ne serait-ce que
pour assurer votre lignée – avec quelque haute dame. Et comme cette haute
dame voudra avoir une maison de ville, je voudrais m’occuper de votre maison
des champs et aussi, peut-être, prendre soin de vos enfants, si vous préférez
qu’ils soient élevés près de Paris, dans le bon air du plat pays.
Voilà une garce, m’apensai-je, qui, au lieu de laisser les
autres décider de sa vie, tâche de prendre les devants pour la bien diriger, au
mieux de ses intérêts, assurément, mais aussi de ses affections.
— Louison, dis-je, je serais fort aise qu’il en soit
ainsi. Tu ne failles pas en bonnes qualités et j’ai fiance entière en toi.
À cela, elle se saisit de ma main au vol et la baisa à
plusieurs reprises, mais sans dire mot ni miette. Après quoi, reposant sa tête
sur mon épaule, elle parut méditer un long moment.
— Monsieur le Comte, dit-elle enfin, voudriez-vous
m’accorder une grâce : quand vous aurez fait le choix d’une épouse,
j’aimerais en être informée, non pas certes avant, mais tout de gob après
Monsieur le Marquis et Monsieur le Chevalier.
— Et pourquoi cela ? dis-je, intrigué assez.
— Ne suis-je pas, après eux, la plus proche de vous ?
J’accordai ce qu’elle avait appelé une « grâce »,
mais ce ne fut que quelques années plus tard que j’entendis la raison pour
laquelle elle me l’avait demandée. Deux mois ne s’étaient pas écoulés après que
je lui eus fait l’annonce de mes fiançailles qu’elle m’apprit qu’elle était
enceinte. L’évidence me sauta alors aux yeux. Elle voulait, avant que mon
mariage séparât nos sommeils, être la mère de mon premier enfant.
*
* *
Il restait une heure au soleil à notre arrivée à Orbieu et
le lecteur devine déjà comment je la voulus utiliser. À l’entrée de mon
domaine, je quittai mon carrosse et commandant à La Barge de démonter, je
sautai sur la selle encore chaude de ma jument alezane et dis à mon écuyer de
grimper sur le siège à côté du cocher Lachaise, qui le conduirait droit au
château, ainsi que Louison.
Ma soubrette mit la tête alors à la portière et me pria de
lui dire où j’allais. « M’amie, dis-je, que pourrais-je faire, sinon
courir tout de gob admirer mes voies, toutes mes voies, maintenant qu’elles
sont empierrées. Dis, je te prie, à Monsieur de Saint-Clair que je serai au
château à sept heures pour le souper. » Je mis au trot et ne voulant pas
avaler la poussière de mon carrosse, je le devançai et, suivi de mon escorte,
je pris la première voie venue sur ma gauche.
Je les suivis toutes, l’une après l’autre, ravi de
l’empierrement qui, sous la houlette de Monsieur de Saint-Clair, avait été
fait, et bien fait, à grand-peine et labeur par mes manants, et à grands
débours pour mon escarcelle. Mais je ne plaignais pas mes écus, tout le
rebours. Le cœur me battait de plaisir de voir mon domaine guéri de ses
ornières et fondrières et comporter d’ores en avant des chemins si commodes et
si beaux qu’ils lui étaient à grand honneur, et à moi aussi.
À ouïr les sabots d’une dizaine de grands chevaux toquer le
sol maintenant si raffermi, mes manants sortaient très à la prudence sur le
seuil de leurs chaumines et, se rassurant à me reconnaître, me tiraient leur
bonnet. À quoi, m’arrêtant, je répondis en soulevant mon chapeau et leur
adressai à chacun en la parladure qui était la leur, et que je n’avais pas
failli à étudier quasi quotidiennement dans le lexique de Figulus, depuis mon
dernier séjour à Orbieu. Je n’assure pas que l’accent y était tout à plein,
mais ils eurent l’air de bien entendre, quand je leur dis que le temps s’y
prêtant, je ferais ma vendange le lendemain, et qu’ils pourraient par
conséquent se mettre à la leur, s’ils avaient vigne en leur lopin.
Monsieur de Saint-Clair m’attendait avec tout le domestique
sur les
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