Les Roses De La Vie
mais jamais sous une
forme aussi lapidaire, répliqua La Surie.
Cette remarque me toucha fort. La Surie étant le dernier
homme au monde à flagorner quiconque, mais souffrant mal, ayant une si haute
idée des talents de mon père, que de soi il les rabaissât.
Le jeudi vingt-quatre janvier – huit jours après cet
entretien –, j’eus une conversation avec un valet de chambre du roi qui me
plongea dans une stupéfaction telle et si grande que je fus tout un jour avant
d’y pouvoir attacher créance malgré l’évidente bonne foi du narrateur, lequel
le lecteur connaît déjà, n’étant autre que l’un des deux valets de chambre du
roi, Berlinghen, l’autre étant Soupite, tous deux étant de bonne maison, mais
fort jeunes et aussi fols que poulains échappés. Tant est que Louis, bien qu’il
les aimât, les tabustait fort pour leurs sottises, et à l’occasion les
punissait, ayant en lui cette raideur de justice dont j’ai parlé plus haut.
Or, ce Berlinghen qui avait le cheveu roux en hérisson sur
sa tête, l’œil bleu clair et la face semée de taches de rousseur soupirait aux
genoux d’une dame italienne – épouse de l’envoyé vénitien à Paris,
Angelino Contarini – et, se flattant de la séduire, avait demandé à Louis
la permission, et à moi la faveur, de lui bailler des leçons dans la langue de
Dante, mais sans du tout dire au roi, connaissant sa pudibonderie, à quelle
source cette soif d’apprendre rêvait de s’assouvir. Mais comme à moi Berlinghen
avait confié ce qu’il avait caché à Sa Majesté, je lui accordai ces leçons,
jugeant qu’elles dureraient autant que sa grande amour, laquelle à mon
sentiment, gèlerait sur pied à la première rebuffade, la dame vénitienne n’étant
pas de celles qui prodiguent leurs corps à des béjaunes. Je soupçonnais, en
fait, qu’elle ne souffrait les attentions du garcelet que pour tâcher
d’apprendre par son naïf babillage d’aucunes choses sur le roi dont l’envoyé
vénitien à la Cour eût pu faire sa provende.
Il se trouva que ce jeudi vingt-quatre janvier, je fus en
retard à un de mes studieux rendez-vous avec Berlinghen, ayant été retenu au
Conseil des affaires plus longtemps que je ne l’eusse voulu. Et je fus béant en
entrant dans mon appartement du Louvre, de trouver le béjaune attablé avec mon
page La Barge et mon cuisinier Robin devant deux flacons, l’un vide, l’autre à
demi plein, de mon vin de Bourgogne et une paire de dés que le béjaune lançait
sur la table en poussant des jurons. Et voyant que le tas des monnaies devant
lui était maigre et, fort pansus, ceux de mes vaunéants, j’en conclus qu’ils
étaient occupés à plumer le coquelet après l’avoir fait boire.
— Çà, Messieurs, m’écriai-je d’une voix forte et l’œil
fort sourcillant, qu’est cela ? Prenez-vous mon logis pour un
tripot ? Étrangle-t-on ici les hôtes avant que je les voie ? Rendez
tout de gob à Monsieur de Berlinghen les pécunes que vous lui avez gagnées. Et
retirez-vous dans la cuisine d’où vous ne sortirez que pour nous apporter les
viandes qu’il faudra pour sortir ce pauvret de ses ivresses.
Ils obéirent, la crête fort rabattue, et craignant de
recevoir de moi quelques bons coups d’étrivière pour punir leur exploit. Quant
à Berlinghen, le vin qui l’avait d’abord assoupi, le rendit fort bavard dès que
la repue qu’il gloutit avec moi l’eut quelque peu rebiscoulé. Le verbe quelque
peu trébuchant, il me répéta trois à quatre fois, pour s’excuser de son
ivrogneté, qu’il n’avait pu fermer l’œil de la nuit.
— Eh quoi ? dis-je. Cela est-il constant ?
Une insomnie ? À ton âge ? Et sain et gaillard comme tu l’es ?
— Monsieur le Comte, dit-il, ce n’était point une
insomnie. J’étais au service du roi, l’ayant dû accompagner sur la minuit dans
la chambre où le duc d’Elbeuf et Mademoiselle de Vendôme, étant mariés du
matin, faisaient leurs épousailles, moi portant l’épée du roi, ce que je tiens
à grand honneur et Soupite, son bougeoir.
— Et que fis-tu en cette chambre-là ?
— Ce que faisait le roi : je regardais, quoique
dans un coin de la chambre, et l’œil baissé par discrétion.
— Tu regardais, l’œil baissé. Voilà qui va bien. Et
Soupite ?
— Soupite faisait de même.
— Et où se tenait Louis ?
— Mais sur le lit des épousés.
— Et qu’y faisait-il ?
— Comme je l’ai dit, Monsieur le
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