Les Roses De La Vie
baiser. Après quoi, il lui donna sur la
sienne une petite tape amicale.
Or, malgré les traverses que Marie de Médicis, par méfiance
ou méchantise, avait mises à cette amitié, comme à toutes celles que Louis
concevait, elle se poursuivit sans faiblir le moindre et mit le duc d’Elbeuf
sur le pied d’une intimité – laquelle, je ne dirais pas qu’elle justifie
tout à plein, mais permet à tout le moins d’entendre une scène très étonnante
qui se passa quelques semaines plus tard, et dont je dirai plus loin ma
râtelée.
Quant à la future épouse du duc d’Elbeuf, Mademoiselle de
Vendôme, demi-sœur du roi, Louis l’aimait à l’égal de ses cadettes, Chrétienne et
Henriette, la première, comme je viens de le dire, promise au prince de Savoie,
la seconde, mais l’affaire ne se fit que beaucoup plus tard, à Charles I er d’Angleterre.
Le nonce Bentivoglio (dont le nom, en italien, veut dire
« je te veux du bien », ce qui l’avait voué, dès sa naissance, à cet
amour du prochain que Jésus recommande) était un homme tout en rondeurs, mais
dont les rondeurs n’excluaient pas la force, pas plus que sa discrétion
n’excluait, à l’occasion, le manque de tact, pour peu qu’il lui parût utile. Il
en donna une éclatante preuve lors d’une audience qu’il obtint de Louis le
quinze janvier 1619 et à laquelle assistèrent Monsieur de Bonneuil, Monsieur de
Puisieux et moi-même (pour la raison que l’on sait).
Je m’apensai que cette entrevue-là allait être de tout
repos, comparée à celle qui avait opposé Bonneuil à l’irascible Don Fernando de
Giron et que je n’aurais pas, par exemple, à expliquer qu’une mouche
n’offensait pas un grand royaume, quand même eût-elle piqué son ambassadeur. En
outre, je savais déjà ce qui s’allait dire là. Le bienveillant Bentivoglio
allait présenter suavement au roi, au nom du pape, les compliments de la
Chrétienté pour le mariage de ses deux sœurs, la naturelle et la légitime.
Chose qui me parut tout à la fois peu orthodoxe et peu
conforme à l’étiquette de la Cour, le nonce commença par l’enfant du péché.
Assurément, Mademoiselle de Vendôme était légitimée, reconnue « enfant de
France » et tout comme Chrétienne, sa demi-sœur, elle porterait, le jour
de ses noces – privilège qui était envié par toutes les princesses qui
n’étaient point royales –, des fleurs de lys sur sa robe de mariée. Mais
enfin, issue d’un adultère, elle n’avait tout de même pas le pas sur une union
bénie par l’Église.
Toutefois, comme ni Bonneuil, ni Puisieux, ni Louis ne
sourcillèrent à ouïr Bentivoglio commencer son compliment par elle, je me dis
que je ne pouvais être plus royaliste que le roi et que Bentivoglio voulait
sans doute garder la sœur de Sa Majesté « pour la bonne bouche », si
j’ose m’exprimer ainsi.
Belle lectrice, je ne me trompais pas. Sauf que la
« bonne bouche » fut une « flèche du Parthe », en cette
occasion, tirée à bout portant sur le roi avec une audace, je dirais même une
impudence qui, chez tout autre que le représentant du pape, eût été tenue pour
telle. Mais nos prêtres étant mêlés par la confession à tous nos secrets de
sang et de chair, n’est-ce pas pour eux une pente quasi naturelle que
d’intervenir, même publiquement, au plus privé de nos vies, cette vie fût-elle
celle d’un roi ?
Bentivoglio s’exprimait en excellent français prononcé avec
un délicieux accent italien qui ajoutait encore aux résonances bon enfant de sa
voix et aux rondeurs de sa personne. Et je me disais, en l’écoutant, qu’avec
cette tête, cette voix, cet accent, cette bedondaine et la grande ombre du pape
derrière lui, Bentivoglio pouvait vraiment tout se permettre de dire. Et de
reste, c’est ce qu’il fit en cette audience.
Il ne faillit à son petit discours, en sa première partie,
pas un seul superlatif en issima ou en issimo, quand il présenta
les compliments de Sa Sainteté au Roi Très Chrétien à l’occasion du mariage de
sa sœur bien-aimée, Son Altesse Royale la bellissima princesse de
France, avec l’ illustrissimo prince de Savoie. Mais le compliment fini,
baissant les paupières et ménageant un silence habile, Bentivoglio, à la fin,
leva ses beaux yeux noirs et, envisageant Sa Majesté avec une parfaite
humilité, dit, d’un ton calme, posé, intime et quasi familial :
— Sire, je ne crois pas que vous voudriez
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