Les Roses De La Vie
de Seine et à faire éclater les pierres. Mon appartement du
Louvre étant fort mal chauffé, je me réfugiai en notre hôtel de la rue du Champ
Fleuri où mon père entretenait un grand feu, n’étant pas chiche en bûches,
comme d’aucuns de la noblesse que je pourrais nommer, lesquels préfèrent vendre
tout un bois pour se mettre sur le dos ou la poitrine, satin, perles et soie,
plutôt que d’en prélever, ce qui suffirait l’hiver à leur bien-être, sans se
dessaisir de la totalité.
Toutefois, je dus m’arracher au tiède cocon familial sur les
quatre heures de l’après-midi pour aller au Louvre assister au Conseil des
affaires. Laissant mon alezane dans l’écurie paternelle, je m’y rendis en
carrosse, la froidure étant telle que le vent, à cheval, vous coupait le
visage. Au Conseil, on parla prou des affaires d’Allemagne qui ne
s’arrangeaient guère, les États huguenots et les États catholiques s’étant
dressés si violemment les uns contre les autres après la défenestration de
Prague. Mais on en discuta d’une façon désordonnée et confuse et sans rien
décider. À mon sentiment, Monsieur de Puisieux trouvait peu d’intérêt à tout ce
qui n’était point pécunes tombant dans son escarcelle.
Sa Majesté m’ayant demandé, à l’issue du Conseil, pourquoi
elle ne m’avait point vu le matin, j’inventai quelque plausible excuse et
décidai, pour ne point l’affronter davantage, de demeurer avec Elle jusqu’à son
coucher. Toutefois, quand je vis Louis à son souper ne parlant qu’à sa seule
assiette, tant il paraissait malengroin, je décidai d’aller dans mon appartement
manger chez moi un morcel hâtif. Et m’en revenant, je rencontrai le roi dans la
galerie alors qu’il se rendait, la face fermée et maussade, chez la reine pour
une de ces visites protocolaires qui duraient dix minutes et pendant lesquelles
debout, gourmés et polis, ils n’échangeaient pas dix paroles. Je l’y suivis,
étant alors le seul gentilhomme de la Chambre à être présent au Louvre.
À une semaine près, le roi et la reine avaient le même âge.
Et il s’en fallait encore de sept mois qu’ils atteignissent ensemble leur
dix-huitième année. L’étrange est que, face à face, ils pâtissaient tous deux
de sentiments si amers et, qui pis est, l’un par l’autre. C’était pitié, car
Louis ne faillait pas en agréments, ayant un corps vigoureux et un visage mâle
et Anne, sans être la beauté que peintres et poètes de cour portaient aux nues,
me paraissait jolie et fraîchelette, avec de beaux cheveux blonds, foisonnants
et bouclés, de grands yeux bleus, une bouche petite et vermeille et un contour
de visage des mieux modelés. Eût-on voulu être un peu sévère (et certes, je ne
l’étais pas), on eût pu critiquer son nez qui se trouvait peut-être un peu gros
comparé à l’ensemble de ses traits. Quant à l’âme ou l’esprit, comme on voudra,
qui habitait cette gracieuse enveloppe, je dirais qu’elle brillait en
ébulliante gaîté, vivacité primesautière, charme féminin, et le cas échéant, en
sentiments affectionnés, mais qu’elle faillait singulièrement en assiette, en
prudence et en jugement.
Épouse délaissée avant même d’être prise, et pâtissant prou
de cette blessure en son orgueil et sa chair, si elle avait eu l’esprit plus
fin, elle n’eût pas toutefois, en ces visites quotidiennes, répondu aux
compliments embarrassés de Louis par cet air que je lui voyais : froid,
distant, quasi hautain. Car cet air-là n’était pour Louis qu’une cuirasse de
plus, laquelle mettait encore plus hors d’atteinte ce corps qui lui faisait
peur.
Mais il lui eût fallu, sans doute, posséder plus
d’expérience qu’elle n’en pouvait avoir, ou un entendement plus délié que le
sien, pour entendre que des deux, il était le plus trémulant et qu’il eût mieux
valu user de séduction et de tendresse, là où elle se remparait derrière sa
hauteur castillane.
Debout, à deux pas derrière Louis et un peu sur sa gauche,
j’envisageai la reine. J’admirai sa grâce et sachant ce qu’elle endurait en son
for depuis quatre ans, j’avais grandement pitié d’elle, mais en même temps, je
m’irritai qu’elle portât si haut la crête. Ah ! si seulement elle avait
su ! Ce n’était guère le moment d’être si roide ! Si Habsbourg !
Et si espagnole ! Mais, se peut, m’apensai-je, qu’elle ait appris par le
nonce la formelle promesse de
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