Les Roses De La Vie
recevoir
cette honte que votre sœur ait un fils avant que Votre Majesté ait un dauphin…
Juste ciel ! m’apensai-je avec un fort déplaisant
frémissement le long de mon échine, allons-nous droit derechef à un
« éclat » ? C’était là propos quasiment plus dénué de tact que
la suggestion de Monteleone d’enseigner à la petite reine les moyens d’attiser
les désirs de son mari.
Je jetai un œil au roi et un autre à Puisieux et à Bonneuil.
Louis était rouge et les deux diplomates étaient blêmes. Une seconde s’écoula
qui me parut siècle. Et la foudre ne tomba pas. Tout le rebours. Louis dit
d’une voix basse, mais bien articulée et sans sourciller le moindre :
— Non, en effet. Je ne compte pas avoir cette honte.
Je n’en crus pas mes oreilles, et quelque effort que fissent
Puisieux et Bonneuil pour garder une face imperscrutable, je vis bien qu’ils
n’étaient pas moins béants que moi. Pour la première fois, publiquement (et
devant quel public : le représentant du pape !) Louis s’était engagé
à mener à bien la perfezione de son mariage. Là où le taureau espagnol
avait encorné un mur, la brebis papale venait de triompher.
*
* *
Quand je contai à mon père la quasi incrédible impertinence
de Bentivoglio à l’égard du roi, il me dit d’un air chagrin :
— Voilà bien le mauvais de n’être point un vert galant.
Il n’est pas jusqu’au moine escouillé en cellule qui n’aille vous donner des
leçons… Qu’on soit reine ou roi, peu chaut à ces gens-là : ce qu’ils
demandent à une femme, c’est la fécondité, et à l’homme, le pouvoir de la féconder.
Que diantre ! Sommes-nous des chevaux dans un haras pour qu’on nous
réduise à la procréation ?
Mais ce discours sentant quelque peu la caque huguenote, je
noulus lui donner réplique, à tout le moins pas dans cette veine et je
dis :
— Mais, Monsieur mon père, vous qui êtes médecin,
comment expliquez-vous que Louis, qui à la chasse est si vaillant et si
infatigable, et de l’aube à la nuit y montre tant de pointe, ait défailli avec
la reine ?
— C’est la tête et l’imaginative qui commandent cette
vigueur-là, mon fils. Il y a en nos provinces de fort robustes paysans qui de
leur vie n’ont pu rien faire avec leurs femmes parce qu’un sorcier, le jour de
leurs noces, leur a noué l’aiguillette. Dans le moment où le prêtre prononce
cette phrase sacramentelle : « Ce qui est uni par Dieu ne doit pas
être désuni par l’homme », il a suffi qu’un sorcier dans l’assistance
murmure : « mais par le diable », et jette à terre derrière son
épaule un lacet noué en huit (chiffre fermé) et une pièce de monnaie qui
tintine sur le sol, pour que l’époux perde à jamais la faculté de consommer son
mariage.
— J’ai lu, Monsieur mon père, le manuscrit de vos
Mémoires où vous relatez le fait et je n’ignore pas qu’à la suite de ces
simagrées, l’aiguillette qui ferme la braguette du malheureux est à jamais
nouée, symboliquement s’entend. Mais ce n’est là qu’une superstition qui n’agit
que sur ceux qui y croient et qui peut être vaincue, comme vous l’avez écrit,
par une contre-superstition. L’homme noué se dénoue, dès lors qu’on suspend à son
cou un sachet miraculeux, même si ledit sachet, ouvert après guérison,
n’enferme que le vide.
— Puisque vous m’avez si bien lu, mon fils, dit mon
père avec un sourire, vous n’ignorez pas que le « sachet miraculeux »
a été inventé par Montaigne pour guérir un de ses amis d’une impuissance née
des effets de son imagination, car il va sans dire que dans la plupart des cas,
il n’est nul besoin d’un sorcier de village – personnage fruste dont la
magie n’agit que sur des manants ignares – pour nouer une aiguillette.
Dans le cas présent, vous avez, hélas, tous les ingrédients qu’il y faut. Un
confesseur qui vous martèle à l’oreille que la chair, c’est le péché. Un père
adoré qui vous répète que l’Espagne, c’est le mal. Et une mère méchante qui,
après le meurtre du père, et le trahissant post mortem, marie son fils à
une Infante. La pauvre Anne d’Autriche est donc trois fois le diable :
elle est chair, elle est femme et elle est espagnole.
Mon père fit alors un petit geste de la main qui indiquait
la lassitude et ajouta :
— Mais je me répète. J’ai déjà dit tout cela.
— En effet, Monsieur le Marquis,
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