Les Roses De La Vie
lâcher avec ce ton
et ce regard qui nous faisaient rentrer sous terre dès le moment qu’il en
usait. Bien le rebours, il luttait contre lui, grimaçant et désolé, mais plutôt
qu’un roi, il faisait penser à un enfant que son gouverneur veut arracher à son
sommeil pour lui donner le fouet.
Luynes l’emporta : il réussit à tirer Louis de sa
couche et, le tenant fermement des deux mains, il donna des ordres. Lecteur,
vous m’avez bien ouï ; il osa donner des ordres dans la chambre du
roi !
— Berlinghen, l’épée de Sa Majesté ! Soupite, le
bougeoir ! Héroard, jetez une robe de chambre sur les épaules de Sa
Majesté ! Siorac, aidez-moi !
Et me voyant hésiter, il répéta :
— Siorac, aidez-moi ! Il y va du salut du
trône !
Je m’approchai alors du roi, et l’interrogeai du regard pour
savoir si je devais obéir à Luynes, mais il ne me rendit pas mon regard, il
pleurait. De rage ou d’humiliation, je ne sais, mais ses larmes coulaient sur
sa face, grosses comme des pois, et j’entendis en un éclair que son corps,
seul, résistait et luttait. Il était, en esprit, consentant et consentant même
à la violence qu’on lui faisait. Je me saisis alors de son bras gauche par le
poignet et le passai autour de mon cou, tandis que Luynes en faisait autant de
son bras droit. Et précédés de Soupite qui nous éclairait et suivis de
Berlinghen qui portait l’épée du roi, nous soulevâmes Sa Majesté et quasiment
le portâmes jusqu’à la chambre de la reine et, le seuil franchi, jusqu’à sa
couche.
Il n’y avait là, outre la reine, qui, réveillée, nous
envisagea avec autant d’étonnement que si nous tombions de la lune, qu’une
camériste espagnole fort vieille, appelée je crois Stéphanilla, et Madame du
Bellier, première femme de chambre. Nous rendîmes sa liberté au roi à une toise
du baldaquin sur lequel Anne reposait, le chandelier sur le chevet jetant une
auréole dorée sur ses blonds cheveux. À notre entrant, elle porta ses deux
mains à sa poitrine comme pour nous en dérober la vue, et s’assit sur son
séant, ses grands yeux bleus quasiment saillant des orbites sous l’effet de la
stupeur. Louis parut comme saisi à sa vue d’admiration, mais comme il la
considérait sans dire mot ni miette, sans bouger ni s’approcher davantage,
Luynes, s’impatientant, lui enleva en un tournemain sa robe de nuit et quand il
fut nu, le soulevant dans ses bras, cette fois sans que Louis opposât la
moindre résistance, il le porta jusqu’à la couche de son épouse et l’y déposa.
Cela fait, reculant prestement, il commanda à toute la compagnie de sortir de
la chambre, ne laissant avec le couple que Madame du Bellier, qui devait de
force forcée demeurer avec les époux afin de pouvoir, le lendemain, témoigner
de ce qui s’était passé. Luynes ferma à clé derrière nous la porte de la
chambre et s’accotant à l’huis, une fois qu’il l’eut clos, il poussa un soupir
et, tirant un mouchoir de l’emmanchure de son pourpoint, essuya la sueur qui
ruisselait sur son visage.
— Berlinghen, dit-il, Vous demeurerez céans avec
Soupite, et vous ouvrirez à Sa Majesté demain matin quand il frappera à la
porte.
Je dormis assez mal cette nuit-là, de prime parce qu’il
faisait assez froid dans mon appartement du Louvre malgré le feu que Robin y
entretenait (mais beaucoup de cette bonne chaleur se perdait dans l’excessive
hauteur du plafond) – et aussi parce que je me demandais si la violence
qu’on avait faite au roi, même s’il l’avait, en son for, acceptée, atteindrait
bien son but. Un nouvel échec, venant après celui que Louis avait essuyé quatre
ans plus tôt, me paraissait redoutable comme étant susceptible de décourager
tout à plein et de tuer dans l’œuf toute tentative ultérieure, l’enfonçant bien
au rebours dans une impuissance sans remède, avec toutes les conséquences
humaines et politiques qui pouvaient en découler et qui n’étaient que trop
tristement prévisibles.
J’étais bien assuré que si Henri IV avait vécu, aucun
des tourments dont Louis pâtissait n’aurait rongé son cœur, car c’eût été à
Henri de choisir son épouse et il ne l’eût assurément point choisie espagnole,
car elle eût alors présenté, pour lui et pour son fils qui ne voyait que par
ses yeux, le visage même de l’ennemi. Mais surtout, comme il avait fait pour
son bâtard Vendôme, avant qu’il épousât Mademoiselle de
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