Les Roses De La Vie
Louis touchant la perfezione de son
mariage, et par Madame de Luynes la leçon d’érotique baillée par le duc
d’Elbeuf à Louis, et qu’en conséquence de ces nouvelles, elle ait conçu des
espérances que la soirée de la veille a une fois de plus anéanties. Tant est
que son amertume s’était encore accrue depuis cette déception-là, venant au
cours des ans après tant d’autres.
Le roi sortit des appartements de la reine sur le coup de
dix heures de l’après-dînée comme je m’en assurai en jetant un œil rapide à ma
montre-horloge, étant fort las, car j’étais sur mes jambes depuis que j’étais
entré à quatre heures au Conseil des affaires où, comme on sait, seuls le roi
et les secrétaires d’État siègent assis. Cela faisait donc six heures que je me
tenais debout, et je commençais à pâtir d’une grande fatigue, non point
seulement des jambes, mais des reins. Toutefois, Louis ne faisant pas mine de
me donner mon congé, je n’osais le lui demander, ayant observé qu’il avait
renvoyé tout son monde sauf moi, ses deux valets de chambre et Héroard. En
outre, l’œil baissé et les lèvres serrées à n’y pouvoir passer une paille, il
paraissait fort tourmenté, ne disait ni mot ni miette, et ne regardait
personne, pas même Soupite et Berlinghen qui le déshabillaient. Quand Louis fut
nu, Soupite, comme chaque soir, frotta à l’arrache-peau son corps frissonnant,
sans qu’il poussât les petits grognements avec lesquels il accueillait
d’ordinaire cette friction bienvenue. Et quand Berlinghen lui passa sa robe de
nuit, il le gourmanda, mais d’une voix lasse et comme distraite, pour n’avoir
pas pensé à la faire chauffer au préalable devant le grand feu qui flambait dans
la cheminée.
À la parfin, il se mit au lit, s’étendit de tout son long
sur le dos, ferma les yeux, joignit les mains comme un gisant (ce qui me serra
le cœur, pensant qu’un jour on le sculpterait ainsi sur son tombeau) et pria à
voix basse. Quand il eut fini, le docteur Héroard s’approcha de lui et lui
tendit un bol de tisane. Louis, s’étant tourné sur le côté et soulevé sur son
coude, saisit le bol, le porta à ses lèvres et but avec avidité, le docteur
Héroard limitant la quantité de liquide qu’il devait absorber chaque jour, je
n’ai jamais su pourquoi. Berlinghen l’ayant débarrassé du bol vide, Héroard
voulut se saisir du poignet royal pour prendre le pouls, mais Louis retira
vivement sa main en disant d’un ton sec : « Je vais fort bien. »
Après quoi, il s’étendit de nouveau de tout son long sur le dos et ferma les
yeux.
Le moment était venu pour moi de me génuflexer à son chevet
et de dire : « Sire, je vous souhaite la bonne nuit », à quoi il
répondrait : « Bonne nuit, Sioac », ou plus
cérémonieusement, selon son humeur : « Bonne nuit, comte
d’Orbieu. »
Mais avant que j’eusse le temps de prononcer le premier mot
de ces paroles coutumières, survint un de ces « coups de théâtre »
qui sont si rares dans nos vies monotones et si fréquentes en ces tragédies où nous
aimons nous divertir : Monsieur de Luynes entra ou, pour mieux dire, tomba
du ciel sur scène comme le Deus ex machina de l’antique comédie, et, se
dirigeant droit vers le lit où le roi s’ensommeillait, le prit des deux mains
aux épaules, et, le secouant, lui dit d’une voix forte :
— Fi donc, Sire ! Ce n’est point le temps de
dormir ! Tant promis, tant tenu ! Il faut sur l’heure vous lever et
aller trouver la reine !
— Nenni ! Nenni ! cria Louis en tâchant de se
dégager de son étreinte.
Héroard, les deux valets et moi, nous fûmes béants et sur le
sol cloués que Luynes osât porter la main sur la personne du roi, car c’était
là un crime de lèse-majesté. Mais comme nous ignorions le degré d’intimité que
Louis permettait à son favori, et comme d’autre part, Louis se débattait avec
vigueur, certes, mais sans du tout nous appeler à l’aide, aucun de nous quatre
ne branla de la place où il se trouvait, regardant la scène et nous envisageant
l’un l’autre avec scandale et stupeur.
— Fi donc, Sire, fi donc ! cria Luynes. Vous avez
promis !
— Nenni, nenni ! cria le roi, résistant de façon
quasi désespérée aux efforts que faisait Luynes pour le tirer hors de sa
couche.
J’observai pourtant que Louis ne tentait en aucune façon de
recourir à la dignité royale et de commander à Luynes de le
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