Les Roses De La Vie
Saint-Germain, était bleu de froid et les jambes si
raides qu’il eut peine à se génuflexer devant le roi. La voix rauque, il parla
beaucoup trop fort pour ce qu’il avait à dire et tout un chacun l’ouït.
Aussitôt, les jeux, les danses et les ris cessèrent. À l’allégresse succéda la
consternation. Ce n’était que gêne, anxiété, silences gênés et regards
détournés. Mieux même, on se pressa autour de Louis pour lui demander congé.
Tant est qu’à la parfin, il fit dire par son maître de cérémonie que pouvait
partir qui voulait. Ce fut la ruée pour regagner Paris et sur le terre-plein du
château, il se fit en quelques minutes un inextricable chamaillis de chevaux,
de carrosses et de cochers, lesquels juraient en claquant du fouet pour se
démêler de ces embarras. Seuls demeuraient auprès du roi ses deux sœurs, les
princes de Savoie et la reine, laquelle avait un visage tout chaffouré de
chagrin et d’appréhension à l’idée que la reine-mère pourrait reparaître au
Louvre et l’humilier en toute occasion comme elle avait fait au temps de son
pouvoir.
L’exode éperdu des courtisans eut je ne sais quoi de risible
et de pitoyable. Vous eussiez cru que l’ogresse remontant des Enfers pour
dévorer son monde, ils couraient se mettre à l’abri de ses dents derrière les
murs de la capitale.
La Cour partie, le roi, la face imperscrutable, se retira
chez Monsieur de Luynes où il demeura une petite heure à parler à son favori au
bec à bec. Puis il revint en son appartement à six heures et sans dire mot ni
miette à quiconque, ni montrer le moindre émeuvement, il demeura une bonne
heure à parler à son assiette, tant sa chasse du matin lui avait creusé
l’estomac. Puis, ayant bu de la tisane, il se coucha à huit heures et demie,
s’ensommeilla tout de gob du sommeil du juste et dormit dix heures file à file,
ne se réveillant qu’à six heures le lendemain matin. À sept heures et demie, il
partit de Saint-Germain en son carrosse, lequel fit diligence, puisqu’il mit
moins de deux heures et demie pour regagner Paris et le Louvre. À dix heures
enfin, Louis se rendit au Conseil des affaires qui, réuni sur son ordre,
l’attendait dans le cabinet aux livres.
Je fus présent à ces débats et, au bout de dix minutes, je
vis clairement ce qu’il en était des deux parties en présence : celui de
la négociation et celui de la guerre.
J’observai toutefois que ceux qui voulaient traiter ne le
voulaient pas pour les mêmes raisons : Luynes, parce qu’il était
pusillanime. Les ministres Sillery et son fils Puisieux, parce qu’il n’y avait
rien à gagner pour eux dans une entreprise guerrière ; Jeannin,
surintendant des Finances, parce qu’il était vieil et mal allant, répugnait aux
aventures et craignait de vider les caisses de l’État. Les cardinaux (Retz et
La Rochefoucauld) parce que la reine-mère étant Habsbourg, espagnole et, comme
eux-mêmes, ultramontaine, ils voulaient lui sauver la mise.
Les Grands, de leur côté, penchaient plutôt pour la guerre,
parce que les armes étaient leur métier et parce qu’ils détestaient
d’Épernon – ce parvenu qui s’était haussé jusqu’à la pairie par les
tristes moyens que l’on sait – et ils craignaient aussi, si sa rébellion
réussissait, qu’il se mît fort au-dessus d’eux.
Rencoigné sur le côté droit de sa chaire, les épaules
relevées, le chapeau enfoncé sur la tête, et les doigts des deux mains
entrelacés sous son menton, Louis écouta les uns et les autres sans intervenir
autrement que pour veiller à l’ordre des débats et donner la parole à chacun.
Quand les conseillers eurent opiné, Louis ne mit pas aux voix, comme il faisait
d’ordinaire. Avec sa brièveté coutumière, il fit connaître sa décision :
il allait s’armer et courir sus au duc d’Épernon. Toutefois, en attendant que
ses armées fussent à pied d’œuvre, il négocierait avec sa mère.
J’étais à peine retiré dans mon appartement du Louvre pour y
prendre ma repue de onze heures qu’on toqua à mon huis. La Barge courut ouvrir
et je dois ici porter témoignage que, bien que mon page fût fort joli, l’abbé
Fogacer à qui il donna l’entrant ne lui accorda pas un regard. Il s’était bien
guéri – double exploit ! – et de son athéisme et de sa
bougrerie, depuis qu’il nageait dans les hautes eaux de l’Église.
Ma belle lectrice, se peut, se ramentoit, que médecin et
confident
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