Les Roses De La Vie
qui tout soudain découvre dans la terre
un trésor.
— Eh bien, plaise à Dieu que ce trésor lui donne un
fils ! dit mon père avec une gravité qui me surprit. Qui peut en cette
maison désirer plus ardemment un dauphin que La Surie et moi ?
— Mais moi, par exemple, dis-je en levant le sourcil.
— Ah mon fils ! dit mon père, je ne doute pas que
vous aimiez Louis autant que nous, mais vous n’avez pas vécu sous Henri
Troisième des temps qui furent empoisonnés par le seul fait que le roi n’avait
pas d’enfant.
— Cependant, dis-je, je me ramentois les contes que
vous m’en avez faits.
— Mais c’est autre chose ! dit La Surie, d’avoir
vu et vécu fil à fil les intrigues et les factions que fomentaient les
prétendants au trône.
— Du plus grotesque, dit mon père, comme le cardinal de
Bourbon, au plus dangereux, comme le duc de Guise ! Et comment ne pas se
ramentevoir combien d’années la guerre civile a dévoré, sous nos yeux, le
royaume ! Nous n’en sommes sortis, comme vous savez, que par deux
assassinats, un régicide et ce terrible siège de Paris où trente mille
personnes périrent. Soyez bien assuré que si notre Louis ne nous donnait pas
l’espoir d’un dauphin, la même situation pourrait se reproduire en ces temps
mêmes que nous vivons.
— Avec des prétendants au trône ? dis-je béant.
— Oui-da ! À commencer par le frère cadet de
Louis.
— Gaston ? On dit qu’il a plus de montre que de
pointe.
— Ah la pointe ! On en aura pour lui ! Car il
deviendrait aussitôt l’objet ou le prétexte de complots où la reine-mère, qui
excelle en brouilleries, ne laisserait pas de mettre le doigt.
— Le doigt ? La main tout entière ! dit La
Surie.
Quarante-huit heures plus tard, combien prophétiques me
parurent les craintes de mon père touchant la régente ! Le vingt-cinq
février, on apprit au Louvre que Marie de Médicis s’était évadée du château de
Blois avec l’aide et la complicité du duc d’Épernon. Avec lui et avec d’autres
Grands, levant aussitôt des troupes, elle se dressait contre le roi régnant.
Avide du pouvoir qu’elle avait dû, de son fait, abandonner, elle aspirait à le
reconquérir. Une guerre contre nature commençait : celle de la mère contre
le fils.
CHAPITRE VIII
Plaise au lecteur de me permettre de dire un mot des
circonstances dans lesquelles cette funeste nouvelle parvint à la Cour.
Celle-ci était alors fort animée du fait que le mariage de Chrétienne avait
attiré en France non seulement son futur mari, le prince Victor-Amédée de
Savoie, mais ses deux frères. Ces beaux jeunes gens amenèrent avec eux la
chaleur de leur pays, la gaîté de leur âge, l’enjouement de leur nation.
Chrétienne qui, depuis le partement de Madame au-delà des Pyrénées, était
devenue la sœur favorite de Louis, avait alors quatorze ans, sa sœur Henriette
dix ans. Anne et Louis n’avaient pas dix-huit ans. Au Louvre d’abord, à
Saint-Germain ensuite, les châteaux royaux s’étonnèrent de voir tant de
jeunesse dans leurs vieux murs, avec des chants, des danses, des jeux et des
rires à l’infini.
Je me ramentois qu’on jasa toute une soirée joyeusement d’un
incident survenu au cours de l’après-dînée, dans la forêt de Saint-Germain.
Comme le roi chassait, un oiseau au poing, la meunière du lieu courut à
lui – qu’elle prenait sur le vu de sa vêture pour un simple
fauconnier – et l’accusa de lui avoir volé une poule. Louis, loin de la
détromper et de se nommer, s’amusa à en disputer avec elle, l’appelant
« ma commère » et lui baillant, à la fin, quelque monnaie. Les jeunes
princes en furent excessivement ébaudis, mais je vis bien que les vétérans,
comme Vitry, furent quasiment émus jusqu’aux larmes par cette petite scène,
parce qu’elle leur ramentevait la bonhomie du siècle précédent, alors que Louis
se montrait à l’ordinaire si grave et si taciturne. Il est vrai que depuis la perfezione de son mariage, il avait changé, ayant gagné prou en élan, en fiance de soi, en
un appétit à vivre qu’il n’avait pas jusque-là laissé paraître. J’observai
aussi qu’il bégayait beaucoup moins.
L’humeur joyeuse de la Cour changea du tout au tout du
moment où on apprit que la reine-mère s’était échappée de Blois. La nouvelle
fut apportée sur le coup de cinq heures par un chevaucheur qui, ayant galopé à
brides avalées de Paris à
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