Les Seigneurs du Nord
qu’il connaissait les lieux. Je pris Finan
parce que l’Irlandais avait en son âme une folie qui deviendrait sauvagerie
dans la bataille. Je pris Clapa parce qu’il était fort et sans peur, et Rypere
parce qu’il était rusé et souple. Les six autres étaient des hommes de Ragnar, tous
forts, jeunes et aguerris. Je leur énonçai mon plan, m’assurai qu’ils s’enveloppaient
tous d’une cape noire de la tête aux pieds ; puis nous nous enduisîmes
visages, mains et casques d’un mélange de boue et de cendre.
— Pas de boucliers, leur dis-je. (C’était
une décision difficile, car ils sont fort utiles au combat, mais lourds, et s’ils
heurtaient pierres ou arbres, le fracas nous trahirait.) Je marcherai en tête
et nous irons lentement, très lentement. Nous avons toute la nuit.
Nous nous liâmes les uns aux autres avec des
rênes de cuir. Je savais combien il était facile de se perdre dans le noir, et
cette nuit-là était d’encre. La lune était cachée par d’épais nuages d’où
tombait une pluie incessante, mais nous avions trois choses pour nous guider. La
première était la pente en elle-même. Tant que j’en gardais le versant sur ma
droite, je savais que nous étions sur le flanc est de Dunholm. La deuxième
était la rumeur de la rivière, et la troisième les feux de Dunholm. Comme
Kjartan craignait un assaut dans la nuit, il faisait jeter du haut des remparts
des bûches enflammées. Pour les produire il entretenait dans sa cour un grand
feu dont la lueur découpait le haut des murailles et illuminait les nuages bas.
Elle n’éclairait point la pente, mais au-delà des ténèbres c’était un fanal
rougeâtre qui nous guidait.
À ma ceinture pendaient Souffle-de-Serpent et
Dard-de-Guêpe, et comme les autres je portais une lance dont la lame était
enveloppée d’un linge afin de ne rien refléter. Les lances nous servaient de
bâtons de marche sur le sol inégal. Nous ne partîmes qu’une fois la nuit pleine,
car je n’osais risquer qu’une sentinelle à l’œil aiguisé nous voie avancer vers
la rivière. Mais même dans le noir, ce fut assez facile au début, car nos
propres feux nous montraient le chemin. Nous nous éloignâmes de la forteresse, afin
que personne aux remparts ne nous voie quitter le camp, puis nous descendîmes
vers la rivière et obliquâmes au sud. À présent, nous avancions au bas de la
pente, où les arbres avaient été abattus, et je progressais à tâtons entre les
souches. Le sol était envahi d’épaisses ronces et de branches mortes. Elles
craquaient quand nous marchions dessus, mais la pluie et la rivière couvraient
le bruit. De temps en temps, nous nous figions lorsqu’un éclair déchirait le
ciel, et en voyant au-dessus de nous les remparts hérissés de lances je songeai
combien les sentinelles devaient souffrir sous la pluie glaciale. Le tonnerre
suivait presque aussitôt, grondant au-dessus de nous comme si Thor frappait de
son marteau un bouclier géant. Les dieux nous regardaient. Je le savais. C’est
ce que font les dieux depuis leur demeure céleste. Ils nous observent et nous
récompensent pour notre audace ou nous punissent pour notre insolence. Je
touchai mon amulette pour signaler à Thor que nous avions besoin de son aide, l’éclair
qui jaillit des nuages fut pour moi le signe qu’il m’approuvait.
La pente était de plus en plus abrupte. La
pluie ruisselait sur le sol qui n’était par endroits qu’une épaisse boue. Nous
tombions fréquemment. Les souches étaient plus rares, remplacées par des
rochers si humides et glissants que nous devions parfois marcher à quatre
pattes. Nous n’y voyions plus goutte, car une saillie dissimulait la lueur des
remparts, et nous progressâmes en étouffant des jurons dans ces ténèbres
glaçantes. La rivière était toute proche, et je craignais à tout instant de
glisser et de tomber dans les eaux bouillonnantes.
Le bout de ma lance toucha alors de la pierre
et je compris que nous avions atteint l’immense rocher qui, dans le noir, se
dressait comme une monstrueuse falaise. Comme il m’avait semblé voir un chemin
au bord de l’eau, j’explorai lentement les parages, mais je ne pus le trouver. Le
rocher saillait au-dessus de l’eau et nous n’avions d’autre choix que de
remonter la pente, puis passer par-dessus. Les cordes de cuir qui nous
reliaient ne cessant de s’accrocher, il nous fallut une éternité pour atteindre
un endroit où la lueur de Dunholm nous
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