Les Seigneurs du Nord
montra le chemin.
À la faveur d’un éclair, je vis que le sommet
du rocher formait un dôme de pierre incliné comme un toit d’environ quinze
coudées de largeur. L’extrémité est s’élevait vers les remparts, et l’autre
finissait sur un à-pic au-dessus de la rivière. Le centre du sommet du rocher, où
nous devions passer, n’était qu’à une vingtaine de coudées du mur de Kjartan où
était postée une sentinelle dont je vis scintiller la lance. Nous nous
plaquâmes contre le roc et je fis détacher mes hommes, puis nouer tous les
rênes en une seule corde. J’allais passer le premier en laissant filer la corde,
et chacun me suivrait à son tour.
— Un seul à la fois, dis-je. Et attendez
que je tire sur la corde par trois fois. Ce sera le signal. Rampez sur le
ventre. (Si un éclair jaillissait, un homme allongé couvert d’une cape trempée
de boue serait moins visible que s’il était accroupi.) Rypere viendra en
dernier et apportera la corde.
Il me sembla qu’il me fallut toute la nuit
pour traverser cette courte distance. Je rampai à l’aveuglette et dus tâtonner
de ma lance pour trouver où me glisser de l’autre côté. Ensuite, je tirai sur la
corde et attendis la venue du suivant. Nous aidâmes chacun à se dissimuler et
je priais qu’aucun éclair ne survienne, quand, au moment où Steapa était au
milieu du trajet, un énorme éclair déchira le ciel et nous éclaira comme des
vermisseaux pris au piège du feu des dieux. J’eus le temps de voir Steapa qui
tremblait, puis le tonnerre gronda et la pluie redoubla.
— Steapa ! appelai-je. Hâte-toi !
Mais il était si ébranlé qu’il restait
pétrifié, je dus ramper sur le rocher et lui prendre la main pour le ramener. Ce
faisant, j’oubliai combien d’hommes m’avaient déjà rejoint. C’est seulement
quand je crus le dernier arrivé que je me rendis compte que Rypere se trouvait
encore de l’autre côté. Il arriva rapidement en tirant la corde avec lui, puis
nous dénouâmes les rênes et nous attachâmes de nouveau. Nous étions trempés et
gelés, mais le destin était avec nous et nul ne bronchait sur les remparts.
Nous descendîmes la pente en glissant, cherchant
le bord de la rivière. La colline était beaucoup plus escarpée ici, mais les
sycomores et les charmes étaient nombreux et nous facilitèrent la tâche. Nous
prîmes au sud, les remparts sur notre droite et la rivière sur la gauche. Il y
avait plus de rochers, moins gros que celui qui nous avait bloqués, mais tous
difficiles à franchir et cela nous prit énormément de temps. Soudain, alors que
nous contournions l’un d’eux, Clapa lâcha sa lance, qui cogna bruyamment la
pierre et heurta un arbre.
Il ne semblait pas possible que le bruit ait
pu être entendu depuis les remparts. La pluie crépitait dans les arbres et le
vent sifflait, mais quelqu’un dans le fort dut s’alarmer, car brusquement une
bûche enflammée fut jetée par-dessus la muraille dans les branches trempées. Elle
atterrit à une vingtaine de coudées au nord de notre troupe. Par chance, nous
étions immobiles. Nous n’étions que des ombres parmi les ombres des arbres. La
pluie éteignit rapidement les flammes et je fis signe à mes hommes de s’accroupir.
Je pensais que d’autres bûches allaient suivre. Je ne m’étais pas trompé :
cette fois, ce fut un ballot de paille mouillé d’huile, aux flammes bien plus
vives. Il tomba lui aussi au mauvais endroit, mais sa lumière nous atteignit et
je priai Surtur, le dieu du Feu, de l’éteindre au plus vite. Nous restâmes
immobiles, juste au-dessus de la rivière, et j’entendis alors ce que je
redoutais.
Des chiens.
Kjartan ou l’une des sentinelles avait lâché
les chiens par la petite porte donnant sur le puits. J’entendis les louvetiers
qui les guidaient, et les chiens japper. Je le savais, il n’y avait aucune
issue. Il était impossible de rebrousser chemin avant que les fauves nous
atteignent. J’ôtai le linge de ma lance, me disant qu’au moins je pourrais en
embrocher un avant que les autres ne nous déchiquètent. À cet instant, un
éclair déchira les nuages et le tonnerre retentit comme la fin du monde, résonnant
comme un roulement de tambour dans la vallée.
Les chiens détestent le tonnerre, ce fut donc
un présent que nous fit Thor. Il gronda de nouveau et j’entendis les chiens
gémir. La pluie redoubla encore, cinglant la pente comme autant de flèches et
couvrant les geignements
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