Les Seigneurs du Nord
piquet dans un champ
détrempé. Nous nous efforçâmes de les nettoyer, puis nous allumâmes quelques
feux à l’abri d’une haie de prunelliers. Le premier mit une éternité à prendre.
Nos hommes portaient du petit bois sec dans des sacs de cuir, mais à peine
était-il sorti qu’il devenait humide. Finalement, deux hommes dressèrent une
tente avec leurs capes puis j’entendis le cliquetis de l’acier sur le silex et
vis la première fumée. Ils protégèrent ce petit feu comme s’il était d’or, enfin
les flammes jaillirent et nous pûmes y ajouter le bois humide. Les bûches
sifflaient et craquaient, mais les flammes nous apportèrent un peu de chaleur
et les feux confirmèrent à Kjartan que ses ennemis étaient toujours là. À mon
avis, il ne devait pas penser Guthred assez courageux pour mener une telle
attaque ; mais comme il devait savoir que Ragnar était rentré du Wessex et
moi revenu d’entre les morts, j’espérai qu’en cette longue nuit de pluie et de
tonnerre il sentirait la peur le gagner.
Et pendant qu’il frissonnerait ainsi, les sceadugengan se glisseraient dans les ténèbres.
Alors que la nuit
tombait, je contemplais le chemin que je devais prendre dans l’obscurité. J’allais
devoir descendre jusqu’à la rivière puis vers le sud le long de l’eau. Mais
juste sous le mur de la forteresse, là où la rivière disparaissait derrière le
rocher de Dunholm, un énorme roc barrait la route. Il était immense, plus grand
encore que la nouvelle église d’Alfred à Wintanceaster. Si je ne pouvais le
contourner, je serais contraint de grimper sur son sommet plat, à moins d’un
jet de lance des remparts de Kjartan. Je mis une main en visière contre la
pluie, scrutai l’endroit et décidai qu’il devait y avoir un passage entre le
roc et la rivière.
— Peut-on le faire ? demanda Ragnar.
— Il le faut, répondis-je.
Pour m’accompagner, je choisis Steapa et dix
autres hommes. Guthred et Ragnar voulurent venir, mais je refusai. Ragnar était
nécessaire pour mener l’assaut sur la grande porte, tandis que Guthred n’était
tout bonnement point assez aguerri. Par ailleurs, c’était pour lui que nous
nous lancions dans cette bataille. Alors, le laisser mort sur les pentes de
Dunholm aurait rendu toute l’affaire absurde.
— Vous rappelez-vous, demandai-je à
Beocca en le prenant à part, lorsque mon père m’a confié à vous durant l’assaut
d’Eoferwic ?
— Bien sûr que oui, s’indigna-t-il. Et tu
n’as point obéi, n’est-ce pas ? Tu ne cessais de vouloir rejoindre la
bataille, et c’est ta faute si tu as été capturé. (À l’époque, j’avais dix ans
et je mourais d’envie de voir une bataille.) Si tu ne t’étais point enfui, tu n’aurais
jamais été pris par les Danes. Tu serais un chrétien, aujourd’hui. Je m’en veux.
J’aurais dû attacher tes rênes aux miennes.
— Dans ce cas, vous auriez vous aussi été
capturé, mais je veux que vous fassiez de même pour Guthred demain. Restez
auprès de lui et ne le laissez pas risquer sa vie.
— C’est un roi, s’alarma le prêtre. Un
homme adulte. Je ne puis lui dire ce qu’il doit faire.
— Dites-lui qu’Alfred veut qu’il vive.
— Alfred le veut peut-être, dit-il d’un
ton lugubre, mais qu’on mette une épée dans la main d’un homme et il perd l’esprit.
J’en ai été témoin !
— Alors dites-lui que vous avez vu en
rêve saint Cuthbert qui exige qu’il ne se mêle point de se battre.
— Il ne me croira point !
— Mais si, lui promis-je.
— J’essaierai. Et toi, Uhtred, réussiras-tu ?
— Je l’ignore, répondis-je en toute
franchise.
— Je prierai pour toi.
— Je vous en remercie, mon père.
De mon côté, je prierais tous les dieux
possibles. Un de plus ne pouvait faire de mal. Je jugeai qu’en dernier recours
le destin trancherait. Les fileuses savaient déjà ce que nous avions projeté et
ce qu’il en résulterait. Je ne pouvais qu’espérer qu’elles ne préparent point
leurs ciseaux pour trancher le fil de ma vie. Peut-être que plus que le reste, c’était
la folie de mon idée qui lui donnerait des ailes et la couronnerait de succès. Depuis
mon retour, il planait en Northumbrie un air de démence. Il y avait d’abord eu
ce massacre insensé à Eoferwic, la sainte folie à Cair Ligualid, et maintenant
cette attaque désespérée.
J’avais choisi Steapa parce qu’il valait
quatre hommes. Je pris Sihtric parce
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