Les Seigneurs du Nord
était visible malgré le
faible jour, car ses hommes portaient des torches. Il leur en avait donné l’ordre,
afin que les défenseurs soient suffisamment distraits pour ne pas surveiller
leurs arrières. Le feu et l’acier marchaient dans Dunholm, mais les gardes se
gaussaient des hommes de Ragnar qui glissaient sur le sentier boueux, car ils
savaient leurs murailles hautes et leurs attaquants peu nombreux. Cependant les sceadugengan étaient déjà derrière eux sans qu’ils ne nous aient aperçus, et
mes craintes commencèrent à se dissiper. Je touchai mon amulette et remerciai
silencieusement Thor.
Nous étions à quelques pas du frêne du château
de Kjartan. L’arbre symbolisait Yggdrasil, l’Arbre de Vie où se tissent les
destins, mais celui-ci était chétif, peinant à croître dans le maigre sol de
Dunholm. La sentinelle nous jeta un coup d’œil, ne remarqua rien et se retourna
pour regarder vers la porte. Des hommes se rassemblaient sur ce rempart, tandis
que d’autres se dressaient sur les plates-formes de combat de part et d’autre
de l’entrée. Un gros groupe de cavaliers attendaient derrière la porte, sans
doute prêt à poursuivre les attaquants vaincus quand ils seraient repoussés. Je
tentai de compter les défenseurs mais, comme ils étaient trop nombreux, je
regardai à main droite et vis une solide échelle menant à la plate-forme ouest.
C’était là que nous devions aller. La gravir, nous emparer du mur ouest, puis
laisser Ragnar entrer pour qu’il venge son père, libère Thyra et étonne toute
la Northumbrie.
Je souris, soudain transporté à l’idée de me
trouver à l’intérieur de Dunholm. Je pensai à Hild et l’imaginai priant dans
son humble chapelle avec les mendiants massés devant son couvent. Alfred devait
être en train d’étudier, s’usant les yeux à lire des manuscrits à la faible
lumière de l’aube. Des hommes s’éveillaient dans toutes les forteresses de
Bretagne, bâillant et s’étirant. Les bœufs étaient mis au joug, les chiens
jappaient à la perspective d’une chasse, et nous, nous étions là, dans la
forteresse de Kjartan, et nul ne soupçonnait notre présence. Nous avions froid,
étions engourdis et trempés, et à un contre vingt, mais les dieux étaient avec
nous. Je savais que nous allions vaincre et j’exultais. La joie de la bataille
me gagnait, et je sus que les scaldes auraient une grande prouesse à chanter… Mais
peut-être composeraient-ils une grande complainte, car soudain tout vira au
désastre.
10
La sentinelle blottie sous son arbre se tourna
vers nous.
— Ils perdent leur temps, dit-il, parlant
des hommes de Ragnar.
Il ne soupçonnait rien. Il bâilla même lorsque
nous approchâmes, puis quelque chose l’alarma. Peut-être était-ce Steapa, car
il ne devait y avoir personne à Dunholm d’aussi grand que le Saxon. Peu importe,
l’homme comprit soudain que nous étions des étrangers et réagit aussitôt en
tirant son épée. Il allait crier quand Steapa l’atteignit à l’épaule de sa
lance, le renversant. Rypere se précipita et enfonça la sienne dans le ventre
de l’homme avec une telle force qu’il le cloua au frêne. Il l’égorgea d’un coup
d’épée mais, alors que le sang jaillissait, deux hommes apparurent et hurlèrent
que des ennemis avaient envahi le fort. L’un tourna les talons et courut, l’autre
tira son épée. Ce fut une erreur, car Finan lui décocha un coup de lance dans
la gorge.
Deux cadavres de plus. La pluie qui avait
repris diluait le sang dans la boue. Je me demandais si nous avions le temps de
courir jusqu’à l’échelle des remparts quand soudain la porte du château de
Kjartan s’ouvrit et trois hommes en surgirent. D’un coup de hache, Steapa tua
le premier et abattit le deuxième avant de s’élancer à la poursuite du dernier
qui était rentré dans le château. J’envoyai Clapa à sa suite.
— Ramène-le rapidement, lui dis-je, car
les cavaliers à la porte avaient entendu le vacarme et tournaient déjà bride
vers nous.
Je sus alors que tout était perdu. Tout
reposait sur la surprise. Maintenant que nous étions découverts, nous n’avions
aucune possibilité d’atteindre le rempart nord. Les hommes des plates-formes de
combats s’étaient retournés, et certains étaient déjà descendus pour former un
mur de boucliers. Les cavaliers, à peu près une trentaine, s’élançaient sur
nous. Non seulement nous avions échoué, mais nous aurions de
Weitere Kostenlose Bücher