Les Seigneurs du Nord
à Eochaid et payé un bon prix, non parce que Guthred le valait, mais
parce que les prêtres avaient engagé Gelgill pour mener la négociation.
— Deux cents pièces d’argent, huit bœufs,
deux sacs de malt et une corne sertie d’argent. Tel était mon prix, se vanta le
jeune homme.
— Gelgill a payé autant ? m’étonnai-je.
— Non, ce sont les prêtres. Gelgill n’a
fait que négocier.
— Les prêtres ont payé pour toi ?
— Ils ont dû épuiser tout l’argent de
Cumbraland, dit-il fièrement.
— Et Eochaid a accepté de te céder ?
— Pour ce prix ? Bien sûr ! Pourquoi
pas ?
— Il a tué ton père. Ton devoir est de le
tuer. Il le sait.
— Il m’aimait bien. (Je voulus bien le
croire, car Guthred était vraiment agréable. Il affrontait chaque jour comme s’il
ne pouvait lui apporter que bonheur, et en sa compagnie la vie semblait plus
plaisante.) Il continuait de me faire vider sa tinette, mais il avait cessé de
me frapper. Et il aimait bien me parler.
— De quoi ?
— Oh, de tout ! Des dieux, du temps,
de la pêche, des bons fromages, des femmes. Et pour lui, je n’étais pas un
guerrier, ce qui est assez vrai. À présent, étant roi, bien sûr, je dois
devenir un guerrier, mais cela ne me plaît guère. Eochaid m’a fait jurer de ne
jamais lui déclarer la guerre.
— Et tu as prêté serment ?
— Bien sûr ! Je l’aime bien. Je
pillerai son château, évidemment, et je tuerai tous les hommes qu’il enverra en
Cumbraland, mais ce n’est pas là faire la guerre, n’est-ce pas ?
Eochaid avait donc pris l’argent de l’Église, et
Gelgill amené Guthred en Northumbrie ; mais au lieu de le donner aux
prêtres, il l’avait emmené à l’est, se disant qu’il gagnerait plus encore en le
vendant à Kjartan. Les prêtres et moines les avaient suivis, le suppliant de
leur rendre Guthred. C’est ainsi qu’ils avaient rencontré Sven. L’esclave
affranchi, fils d’Hardicnut, donc héritier des terres de Cumbraland, valait une
belle rançon. Sven avait l’intention de ramener Guthred à Dunholm, où il aurait
sans doute tué les sept clercs. Mais j’étais arrivé avec mon déguisement, Gelgill
était mort, Sven les cheveux pleins de pisse et Guthred était libre.
Je comprenais bien tout cela, mais pas
pourquoi sept clercs saxons étaient venus de Cair Ligualid payer une fortune
pour Guthred qui était à la fois dane et païen.
— Parce que je suis leur roi, voyons, répondit-il
comme si c’était une évidence. Certes, je ne pensais pas devenir roi, après
avoir été pris par Eochaid, mais si c’est ce que veut le dieu chrétien, qui
suis-je pour refuser ?
— Leur dieu te réclame ?
— En vérité, car je suis l’élu. Penses-tu
que je devrais me faire chrétien ?
— Non.
— Je crois que si, ne serait-ce que pour
montrer ma reconnaissance. Les dieux n’aiment pas les ingrats, n’est-ce pas ?
— Ce qu’ils aiment, c’est le chaos.
Les dieux étaient heureux.
Cair Ligualid était
un lugubre endroit. Les Norses l’avaient pillée et incendiée deux ans plus tôt,
juste après la mort du père de Guthred, et la ville n’avait même pas été à
moitié reconstruite. Ce qui en restait se dressait sur la rive sud de l’Hedene,
là où se situait le premier passage sur la rivière, qui le protégeait des
expéditions des Scotes. Elle n’avait guère servi contre la flotte de Vikings
qui avaient remonté l’Hedene, volé tout ce qu’ils trouvaient, violé tout ce qu’ils
voulaient, tué tout ce qu’ils ne voulaient pas et réduit le reste en esclavage.
Ces Vikings venaient de leurs premières colonies en Irlande. Ils étaient
ennemis des Saxons, des Irlandais, des Scotes et parfois même de leurs cousins,
les Danes ; ils n’avaient donc pas épargné ceux qui habitaient Cair
Ligualid. Nous passâmes une porte brisée dans un mur effondré pour entrer dans
une ville en ruine. C’était le crépuscule, la pluie avait enfin cessé, un rayon
de soleil couchant filtrait par les nuages. Me voyant nimbé de cette lueur
rougeâtre, quelqu’un cria que j’étais un roi. Et j’en avais bien l’air, revêtu
de ma splendeur guerrière et juché sur Witnere qui secouait la tête et piaffait.
Cair Ligualid était peuplée. Çà et là, quelques
maisons avaient été rebâties, mais la plupart des habitants campaient parmi les
ruines calcinées, avec leur bétail, et ils étaient bien trop nombreux pour n’être
que
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