Les Seigneurs du Nord
Eh bien, nous verrons pour Bebbanburg. Mais bien sûr, nous
devons d’abord abattre Ivarr. (À l’entendre, anéantir le plus puissant Dane de
Northumbrie était une broutille.) Nous nous occuperons donc de lui. (Son visage
s’éclaira soudain.) Mais peut-être m’acceptera-t-il comme roi ? Il a un
fils et j’ai une sœur en âge de se marier. Nous pourrions faire alliance ?
— Sauf si ta sœur est déjà mariée, coupai-je.
— Je ne vois pas qui en voudrait, elle a
une face de jument.
— Jument ou pas, elle est fille d’Hardicnut,
répondis-je. Il doit bien y avoir avantage à l’épouser.
— Il y en avait sans doute avant la mort
de mon père, mais maintenant ?
— Tu es roi, à présent, lui rappelai-je.
Je n’y croyais pas vraiment, mais comme il en
était convaincu, je voulais lui faire plaisir.
— C’est vrai ! Quelqu’un voudra donc
épouser Gisela, alors. Malgré sa laideur !
— A-t-elle vraiment l’allure d’une jument ?
— Le visage est long, grimaça-t-il, mais
elle n’est point tout à fait laide. Et il serait grand temps qu’elle se marie. Elle
doit avoir quinze ou seize ans ! Je pense qu’elle devrait épouser le fils
d’Ivarr. Nous serons alors alliés et il nous aidera à combattre Kjartan, puis
nous devrons nous assurer que les Scotes ne nous causent plus de soucis. Et
bien sûr, nous devrons empêcher ces gueux de Strath Clota de nous importuner.
— Bien entendu.
— Ils ont tué mon père, vois-tu. Et fait
de moi un esclave !
Hardicnut, son père, était un comte dane qui s’était
établi à Cair Ligualid, capitale du Cumbraland. Il s’était proclamé roi de
Northumbrie, ce qui était prétentieux, mais des choses curieuses arrivent à l’ouest
des collines, et là-bas un homme peut se prétendre roi de la lune s’il le
désire, car personne au-delà de ces terres n’en saura jamais rien. Hardicnut ne
représentait aucune menace pour les grands seigneurs des environs d’Eoferwic, ni
d’ailleurs pour quiconque, car le Cumbraland était une terre lugubre et désolée,
constamment pillée par les Norses d’Irlande ou les sauvages de Strath Clota, dont
le roi, Eochaid, se disait souverain de Scotie, titre que lui disputait Aed, lequel
luttait contre Ivarr.
De l’insolence des Scotes, mon père disait qu’elle
ne connaissait point de bornes. Avec raison, car les Scotes revendiquaient une
bonne partie des terres de Bebbanburg, et jusqu’à l’arrivée des Danes, notre
famille n’avait cessé de les combattre. Enfant, on m’avait appris qu’il y avait
bien des tribus en Scotie, mais que les deux plus proches de Northumbrie
étaient les Scotes eux-mêmes, dont Aed était désormais roi, et les sauvages de
Strath Clota, qui demeuraient sur le rivage ouest et n’approchaient jamais de
Bebbanburg. Ils préféraient s’en prendre au Cumbraland ; alors Hardicnut, ayant
décidé de les punir, avait mené une petite armée au nord de leurs collines, où
Eochaid de Strath Clota lui avait tendu une embuscade et l’avait anéanti. Guthred,
qui accompagnait son père, avait été fait prisonnier et réduit en esclavage
depuis deux ans.
— Pourquoi ne t’ont-ils pas tué ? demandai-je.
— Eochaid aurait dû, avoua-t-il, ravi, mais
il ignorait qui j’étais. Lorsqu’il l’a appris, il n’était plus d’humeur à tuer.
Il m’a donné quelques coups et a fait de moi son esclave. Il aimait me voir
vider sa tinette. J’étais esclave dans sa maison, car c’était plus humiliant.
— Pourquoi cela ?
— C’est une tâche pour les femmes, mais
cela me permettait d’être auprès des filles, et cela me plaisait.
— Comment t’es-tu échappé ?
— Je n’ai pas fui. Gelgill m’a acheté. Et
payé cher ! se rengorgea-t-il.
— Et il allait te vendre à Kjartan ?
— Oh non, il voulait me vendre aux
prêtres de Cair Ligualid ! dit-il en indiquant les sept clercs que j’avais
sauvés avec lui. Ils s’étaient accordés sur le prix, mais Gelgill voulait
davantage. Alors ils sont tous allés voir Sven, qui n’a pas voulu que la vente
se fasse. Il voulait que je revienne à Dunholm, et comme Gelgill ne refuse rien
à Sven et son père, nous étions tous condamnés jusqu’à ton arrivée.
Son récit se tenait et, après avoir parlé avec
les clercs et de nouveau questionné Guthred, j’eus le fin mot de l’histoire. Gelgill,
connu des deux côtés de la frontière comme marchand d’esclaves, avait acheté
Guthred
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