Les Seigneurs du Nord
sèche. Il avait tiré de l’eau du sol aride durant une sécheresse, et
lorsque des oiseaux volaient les semences, il leur ordonnait de les rendre. C’est
en tout cas ce que l’on m’avait raconté. C’était sans conteste le plus grand
saint de Northumbrie, celui qui nous protégeait et auquel nous devions adresser
nos prières pour qu’il les chuchote à l’oreille de Dieu. Et il était là dans sa
caisse de bois d’orme dorée et ciselée, narines dilatées, bouche entrouverte et
joues creuses. Ma belle-mère possédait le peigne de saint Cuthbert et se
plaisait à raconter qu’elle y avait trouvé quelques cheveux du saint homme, de
la couleur de l’or le plus fin ; mais ce cadavre-là avait des cheveux d’un
noir de poix, longs et plats. Eadred redressa délicatement la mitre, se pencha
et baisa l’anneau au rubis.
— Vous remarquerez, dit-il d’une voix
rauque d’émotion, que la sainte chair n’est point corrompue et que ce miracle
est un signe sûr et certain de sa sainteté. (Il caressa la main décharnée, puis
se pencha de nouveau pour baiser les lèvres racornies.) Oh, très saint Cuthbert,
entonna-t-il, guide-nous et mène-nous dans ta gloire au nom de Celui qui est
mort pour nous et à la droite duquel tu sièges désormais dans la splendeur
éternelle. Amen.
— Amen, répondirent les moines.
Les premiers s’étaient relevés pour pouvoir
contempler la chair non corrompue du saint, et la plupart pleuraient devant le
visage jaunâtre.
— Dans cette église, jeune homme, me dit
Eadred, résident l’esprit et l’âme de la Northumbrie. Ici, dans la gloire de
ces coffres, reposent nos miracles et trésors par lesquels nous demandons à
Dieu de nous accorder sa protection. Tant qu’ils seront en sûreté, nous le
serons aussi. (Il se releva et haussa la voix.) Autrefois, ces biens étaient
sous la protection des seigneurs de Bebbanburg, mais ils faillirent ! Les
païens arrivèrent, les moines furent massacrés et les hommes de Bebbanburg se
terrèrent derrière leurs murailles plutôt que de chasser les envahisseurs. Mais
nos ancêtres dans le Christ sauvèrent ces possessions et nous avons erré depuis,
erré dans les contrées sauvages. Mais un jour nous bâtirons une grande église
et ces reliques brilleront sur la Sainte Terre. La Sainte Terre où je mènerai
ce peuple ! dit-il en étendant les bras sur l’assemblée. Dieu m’a envoyé
une armée, s’écria-t-il, et elle triomphera, mais je ne suis pas celui qui la
mènera. Dieu et saint Cuthbert m’ont fait voir en songe le roi qui nous mènera
tous en terre promise. Ils m’ont montré le roi Guthred !
Il leva le bras de Guthred sous les
acclamations de tous. Guthred avait l’air plus étonné que royal, et je me
contentai de contempler le cadavre du saint.
Cuthbert avait été abbé et évêque de
Lindisfarena ; pendant presque deux siècles, son corps avait reposé dans
une crypte de l’île jusqu’à l’arrivée des Vikings. Eadred me détestait parce
que ma famille n’avait pu protéger les saintes reliques, mais la force de
Bebbanburg, c’était sa position sur une éminence battue par les vagues, et seul
un fou aurait entraîné ses soldats se battre au-dehors. Si j’avais eu le choix
entre garder Bebbanburg ou une sainte relique, j’aurais cédé sans remords tout
le calendrier. Les cadavres de saints ne valent guère, mais des forteresses
comme Bebbanburg sont rares.
— Voyez ! cria Eadred. Voyez le roi
d’Haliwerfolkland !
Le roi de quoi ? Je crus avoir mal
entendu. Haliwerfolkland, cela signifiait la Terre du peuple du saint homme.
C’était ainsi qu’Eadred appelait le royaume de
Guthred. Saint Cuthbert, bien entendu, était le saint homme, mais quiconque
était roi de cette contrée serait un agneau parmi des loups. Ivarr, Kjartan et
mon oncle étaient les loups. Ils détenaient des troupes bien entraînées, alors
qu’Eadred espérait bâtir un royaume sur un songe. Moi, j’étais sûr que l’agneau
entrevu en rêve finirait déchiqueté par les loups. Cependant, pour l’heure, Cair
Ligualid était mon meilleur refuge en Northumbrie, car mes ennemis devraient
traverser les collines pour me trouver. Et puis j’aimais bien ce genre de folie.
La démence est source de changement, le changement est une occasion à saisir et
toute occasion recèle ses richesses.
— À présent, dit Eadred en lâchant la
main de Guthred et en se tournant vers moi, tu vas jurer fidélité à
Weitere Kostenlose Bücher