Les Seigneurs du Nord
notre roi
et à sa terre.
Guthred me fit un clin d’œil et je m’agenouillai
docilement pour prendre sa main droite, mais Eadred la repoussa brutalement.
— Tu jureras sur le saint, siffla-t-il.
— Sur le saint ?
— Pose tes mains sur les très saintes
mains de saint Cuthbert, m’ordonna-t-il, et prononce les paroles.
Je fis comme il demandait et tâtai la bague
pour vérifier si le rubis était bien accroché, mais il ne cédait point.
— Je jure d’être ton homme lige, dis-je
au cadavre, et de te servir fidèlement.
— Tu le jures sur ta vie ? demanda
Eadred.
Je tentai en vain de desceller le rubis.
— Je le jure sur ma vie, répétai-je
respectueusement.
Jamais je n’avais prêté serment aussi
légèrement de ma vie. Comment
pouvais-je être lié par des paroles prononcées devant un cadavre ?
— Et tu jures de servir le roi Guthred
fidèlement ?
— Je le jure.
— Et d’être l’ennemi de tous ses ennemis ?
— Je le jure.
— Et de servir saint Cuthbert jusqu’à la
fin de tes jours ?
— Je le jure.
— Tu peux baiser le très saint Cuthbert, dit-il.
(Je me penchai pour baiser les doigts.) Non ! protesta-t-il. Les lèvres !
Je me redressai et baisai les lèvres
desséchées du saint.
— Dieu soit loué, conclut Eadred.
Il fit ensuite jurer à Guthred de servir
Cuthbert, et l’assemblée regarda le roi esclave s’agenouiller et baiser le
cadavre. Les moines chantèrent pendant que les fidèles étaient autorisés à
venir contempler la dépouille. Hild frémit en approchant le cercueil puis tomba
à genoux, en larmes. Je dus la relever et l’entraîner. Willibald succomba lui
aussi, mais son visage rayonnait de bonheur. Je remarquai que Gisela ne s’inclinait
pas devant le saint. Elle le regarda avec curiosité, mais à l’évidence il n’était
rien pour elle. J’en déduisis qu’elle était encore païenne. Elle se redressa et
me regarda en souriant. Ses yeux étaient plus brillants que le rubis du saint.
C’est donc ainsi que Guthred arriva à Cair
Ligualid. Sur le moment, et je le pense encore aujourd’hui, je trouvai tout
cela absurde, bien qu’empreint de magie. Un guerrier mort avait prêté
allégeance à un cadavre, et l’esclave était devenu roi. Les dieux s’amusaient.
Plus tard, bien plus
tard, je compris que je faisais ce qu’Alfred avait toujours voulu. J’aidais les
chrétiens. Deux guerres se menaient à cette époque. La plus évidente entre
Saxons et Danes, mais c’était aussi celle des païens contre les chrétiens. La
plupart des Danes étaient païens. Les Saxons étant chrétiens, ces deux
batailles semblaient n’en faire qu’une ; mais en Northumbrie, tout se
trouva fort confus, et cela grâce à l’habileté de l’abbé Eadred.
Il avait réussi à mettre fin à la guerre entre
Saxons et Danes au Cumbraland en choisissant Guthred. Comme c’était un Dane, les
Danes de Cumbraland étaient prêts à le suivre ; et comme il avait été
proclamé roi par un abbé saxon, les Saxons étaient tout aussi disposés à le
soutenir. C’est ainsi que les deux tribus rivales de Cumbraland se trouvèrent
unies tandis que les Bretons, encore très nombreux au Cumbraland – et chrétiens
– reçurent de leurs prêtres l’ordre d’accepter le choix d’Eadred, et y obéirent.
C’est une chose de proclamer un roi et une
autre qu’il gouverne, mais Eadred avait été rusé dans ce choix. Guthred était
un homme de bien, mais aussi le fils d’Hardicnut, qui s’était proclamé roi de
Northumbrie. Aussi Guthred avait-il un droit légitime sur la couronne, et aucun
des thanes de Cumbraland n’était assez puissant pour le contester. Ils avaient
besoin d’un roi, car ils s’étaient trop longtemps chamaillés et avaient souffert
des attaques des Norses d’Irlande et des incursions des sauvages de Strath
Clota. En les unissant tous, Guthred pouvait désormais aligner des troupes plus
puissantes devant leurs ennemis. Un seul homme aurait pu être son rival : Ulf.
C’était un Dane qui possédait de la terre au sud de Cair Ligualid, plus riche
que tout autre thane de Cumbraland ; mais étant vieux, infirme et sans
descendance, il prêta allégeance à Guthred et son exemple convainquit les
autres Danes d’accepter le choix d’Eadred. Ils vinrent s’agenouiller les uns
après les autres. En les appelant par leurs noms, il les releva et les
étreignit.
— Il faudrait vraiment que je devienne
chrétien, me
Weitere Kostenlose Bücher