Les Seigneurs du Nord
Les
ténèbres m’enveloppaient et le vent soupirait. Je retrouvai Sihtric qui
frissonnait. Il me donna l’écharpe noire dont je m’enveloppai le visage, puis
je coiffai mon casque, pris mon bouclier et attendis.
La lumière point lentement lors des aubes
nuageuses. D’abord, une lueur pâle frissonne à l’est puis, durant un moment, il
ne fait ni jour ni nuit et il n’y a plus d’ombres, seulement un gris froid qui
remplit le monde tandis que les chauves-souris, ces ombres qui volent, se réfugient
dans leurs cachettes. Les arbres noircissent alors que le ciel pâlit à l’horizon,
puis le premier rayon du soleil redonne ses couleurs au monde. Les oiseaux
chantèrent. Pas autant qu’au printemps ou au début de l’été, mais j’entendis
pouillots et rouges-gorges saluer le jour, et les arbres virèrent au vert
sombre. C’est alors que les gardes aperçurent les têtes. Je les entendis crier,
d’autres hommes accoururent aux remparts, puis la porte s’ouvrit et deux en
sortirent prudemment. Elle se referma et j’entendis la barre retomber avec un
bruit sourd. Ils semblaient hésiter. J’étais caché entre les arbres, Souffle-de-Serpent
à la main. Je portais mon casque, clinques ouvertes, si bien que l’écharpe
noire apparaissait dessous, une cape noire par-dessus ma cotte de mailles que
Hild avait frottée au sable de rivière, ainsi que de hautes bottes noires. J’étais
de nouveau le guerrier mort. Les deux hommes descendirent prudemment le sentier
vers les têtes. Arrivés à la première, ils crièrent vers la forteresse que c’était
un des hommes de Tekil, puis demanda ce qu’il fallait faire.
C’est Kjartan qui répondit. J’en étais sûr, même
si je ne vis point son visage, mais il tonna :
— Débarrassez-vous-en d’un coup de pied !
Les deux hommes obéirent et les têtes
roulèrent dans les herbes.
Ils s’approchèrent jusqu’à la dernière tête, c’est
alors que je surgis d’entre les arbres.
Ils virent un guerrier sans visage, grand et
étincelant, armé de pied en cap. Ils virent le guerrier mort immobile et
silencieux à dix pas d’eux. Ils me fixèrent, puis ils poussèrent un geignement
et détalèrent.
Je restai là tandis que se levait le soleil. Kjartan
et ses hommes me virent dans la lumière, telle la mort sans visage dans son
armure rayonnante ; puis, avant qu’ils aient l’idée d’envoyer les chiens
vérifier que je n’étais pas un spectre mais fait de chair et de sang, je
tournai les talons et rejoignis Sihtric dans la pénombre.
J’avais fait de mon mieux pour effrayer
Kjartan. À présent, Guthred pouvait le convaincre de se rendre ; dès lors,
j’osais l’espérer, le grand fort sur son rocher serait mien, et Gisela avec. J’espérais
cela parce que Guthred était mon ami et que je voyais mon avenir aussi
resplendissant que le sien. Je voyais la dette de sang payée, mes hommes
ravager les terres de Bebbanburg pour affaiblir mon oncle, puis Ragnar revenir
en Northumbrie pour combattre à mes côtés. Bref, j’avais oublié les dieux et je
filais moi-même mon glorieux destin, tandis qu’au pied de l’arbre de vie les
trois nornes riaient.
Trente cavaliers se
rendirent à Dunholm dans la matinée. Clapa nous précéda avec une branche
feuillue, montrant ainsi que nous venions en paix. Nous portions tous nos
cottes, mais j’avais laissé mon casque à Sihtric. J’avais songé à me vêtir en
guerrier mort, mais il avait joué son rôle et nous allions maintenant découvrir
si la sorcellerie avait opéré.
Nous rejoignîmes l’endroit où j’étais à l’aube
et attendîmes. Clapa agitait sa branche tandis que Guthred s’impatientait en
observant la porte.
— Combien de temps nous faudra-t-il pour
atteindre Gyruum demain ? demanda-t-il.
— Gyruum ?
— Je pensais y aller demain brûler les
enclos des esclaves. Nous pouvons emporter des faucons et chasser.
— Si nous partons à l’aube, répondit
Ivarr, nous y serons à midi.
— Le mauvais temps arrive, dis-je en
contemplant les nuages noirs qui menaçaient à l’ouest.
— Ce bâtard ne veut pas nous parler, dit
Ivarr en écrasant un taon sur le cou de son cheval.
— Je voudrais partir demain, dit Guthred.
— Il n’y a rien, là-bas, répondis-je.
— Il y a les enclos des esclaves de
Kjartan et tu m’as dit que nous devions les détruire. En outre, j’ai dans l’idée
de voir le vieux monastère, dont on me dit qu’il était fort
Weitere Kostenlose Bücher