Les Seigneurs du Nord
beau.
— Alors nous irons une fois le mauvais
temps passé, proposai-je.
Guthred ne répondit pas, car soudain une corne
venait de sonner derrière la grande porte. Nous nous tûmes alors qu’elle s’ouvrait
et qu’un groupe de cavaliers s’avançait vers nous.
Kjartan était à leur tête sur un grand cheval
bringé. C’était un homme de haute taille, avec une grande barbe et de petits
yeux soupçonneux, qui portait une énorme hache de guerre comme si elle pesait
une plume. Son casque était orné de deux ailes de corbeau, et une cape d’un
blanc sale drapait ses larges épaules. Il s’arrêta à quelques pas et resta à nous
considérer sans un mot. Il semblait en colère, mais lorsqu’il rompit le silence
ce fut d’une voix soumise.
— Seigneur Ivarr, dit-il, je regrette que
tu n’aies point occis Aed.
— J’ai survécu, répondit plaisamment
Ivarr.
— J’en suis heureux. (Il me jeta un long
regard. J’étais un peu à l’écart. Il devait m’avoir reconnu, savoir que j’étais
le fils adoptif de Ragnar qui avait coûté son œil à son fils ; mais il
décida de m’ignorer et continua de regarder Ivarr.) Ce qu’il te fallait pour
défaire Aed, dit-il, c’était un sorcier.
— Un sorcier ? s’amusa Ivarr.
— Aed redoute l’ancienne magie, dit
Kjartan. Il ne combattrait jamais un homme capable de prendre des têtes par
sorcellerie.
Ivarr ne répondit pas. Il se tourna vers moi, trahissant
le guerrier mort et rassurant Kjartan : il n’avait pas affaire à un
sorcier, mais à un vieil ennemi, et je vis le soulagement sur son visage. Il
eut un petit rire méprisant, mais continua de m’ignorer.
— Qui es-tu ? demanda-t-il à Guthred.
— Je suis ton roi.
Kjartan éclata de rire, rassuré et certain de
ne pas avoir affaire à de la magie.
— Nous sommes à Dunholm, jeune chiot, et
nous n’avons nul roi.
— Et pourtant, je suis là, répondit
Guthred sans relever l’insulte, et j’y resterai jusqu’à ce que tes os aient
blanchi sous le soleil de Dunholm.
Cela amusa Kjartan.
— Tu penses pouvoir m’affamer ? Toi
et tes prêtres ? Tu penses que je mourrai de faim parce que tu es là ?
Écoute, jeune chiot. Il y a des poissons dans la rivière et des oiseaux dans le
ciel, et Dunholm ne sera point affamé. Tu peux attendre la fin du monde et je
serai toujours mieux nourri que toi. Pourquoi ne le lui as-tu point dit, seigneur
Ivarr ? (Ivarr haussa les épaules, comme si les ambitions de Guthred ne le
regardaient pas.) Alors, fit Kjartan en reposant sa hache sur son épaule comme
s’il avait jugé qu’elle ne lui serait pas nécessaire, qu’es-tu venu me proposer,
jeune chiot ?
— Tu peux emmener tes hommes à Gyruum, dit
Guthred, et nous te fournirons des vaisseaux pour que tu puisses partir. Ton
peuple peut t’accompagner, sauf ceux qui souhaitent rester en Northumbrie.
— Tu joues à faire le roi, enfant. Et tu
es son allié ? demanda-t-il à Ivarr.
— Je le suis, répondit Ivarr d’une voix
sans timbre.
— Je me plais ici, jeune chiot, dit
Kjartan à Guthred. J’aime Dunholm. Je ne demande que d’être laissé en paix. Je
ne veux point ton trône ni ta terre, mais je voudrais peut-être ton épouse si
tu en avais une et qu’elle soit assez jolie. Aussi vais-je te proposer de me
laisser en paix et j’oublierai que tu existes.
— Tu troubles ma paix.
— Je vais chier sur ta paix, jeune chiot,
si tu ne décampes point ! aboya Kjartan d’un ton qui fit sursauter Guthred.
— Tu refuses donc mon offre ? demanda
Guthred, sachant désormais qu’il avait perdu la partie.
Kjartan secoua la tête comme s’il découvrait
que le monde est encore plus pitoyable qu’il ne le croyait.
— Tu appelles cela un roi ? demanda-t-il
à Ivarr. Si tu as besoin d’un roi, trouve un homme.
— J’ai ouï dire que ce roi était assez
homme pour pisser sur ton fils, intervins-je. Et que Sven était parti en
rampant et en pleurant. Tu as engendré un couard, Kjartan.
— J’ai affaire avec toi, répondit-il en
pointant sa hache sur moi. Aujourd’hui n’est pas le jour où je te ferai crier
comme une femme. Mais il viendra.
Il cracha, tourna bride et repartit vers l’immense
porte sans un mot, ses hommes à sa suite.
Guthred le suivit des yeux. Je foudroyai du
regard Ivarr, qui avait délibérément trahi la sorcellerie ; je devinai
alors qu’il avait appris que j’aurais Dunholm si nous la prenions et qu’il
avait tout
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