Les Seigneurs du Nord
Estanglie ?
— Si fait, confirma-t-il. Et il construit
églises et monastères.
— Il est donc vraiment devenu un chrétien ?
— Le pauvre est aussi pieux qu’Alfred, dit
Ragnar d’un ton lugubre. Il a toujours été un sot crédule. Mais Alfred m’a
mandé et dit que je pouvais aller à ta recherche. Il m’a laissé prendre les
hommes qui me servaient en exil et le reste a été recruté par Steapa. Ils sont
saxons, certes, mais ils savent ramer.
— Steapa m’a dit qu’il était là pour te
surveiller.
— Steapa ! appela Ragnar par-dessus
le feu allumé dans la nef de l’église en ruine. Petit étron de bouc, as-tu
prétendu que tu étais là pour me surveiller ?
— Mais je le suis, seigneur.
— Tu es une petite fiente. Mais tu te
bats bien. Et moi, je dois te ramener à Alfred, me dit-il en souriant.
— Thyra est à Dunholm et Kjartan vit
toujours, dis-je en fixant le feu.
— J’irai à Dunholm quand Alfred me
libérera ; mais avant je dois te ramener en Wessex. J’ai prêté serment. J’ai
juré que je ne romprais point la paix en Northumbrie et viendrais seulement t’y
chercher. Et Alfred a retenu Brida, bien sûr.
Brida était sa femme.
— Vraiment ?
— Comme garantie pour moi, sans doute. Mais
il la libérera, et je rassemblerai de l’argent pour réunir mes hommes et
effacer Dunholm de la face de la terre.
— Tu n’as nul argent ?
— Point assez.
Je lui parlai alors de la demeure de Sverri au
Jutland et du trésor qu’il y gardait, du moins le supposais-je. Ragnar y pensa
tandis que je songeais à Alfred.
Alfred ne m’aimait point. Jamais il ne m’avait
aimé. Parfois il m’avait haï, mais je lui avais rendu service. Un grand service,
et il avait été moins que généreux pour m’en récompenser. Cinq peaux pour moi
qui lui avais donné un royaume. Pourtant, je lui devais ma liberté et je ne
comprenais point pourquoi il avait agi ainsi. Certes, Hild lui avait offert un
couvent, et cela il le voulait. De plus, il était heureux de son repentir, et d’une
certaine façon cela expliquait son geste. Il m’avait sauvé de l’esclavage, je
jugeai qu’il était finalement généreux. Mais je savais aussi qu’il y aurait un
prix à payer. Alfred voudrait davantage que l’âme de Hild et un couvent. Il me
voudrait, moi.
— J’espérais ne jamais servir à nouveau
le Wessex, dis-je.
— Eh bien tu le reverras, car j’ai juré
de t’y ramener. Nous ne pouvons pas rester ici.
— Certes non.
— Kjartan aura dépêché cent hommes d’ici
à demain.
— Deux cents.
— Nous devons partir. Il y a vraiment un
trésor au Jutland ?
— Un grand trésor, renchérit Finan.
— Nous le pensons enfoui dans une hutte
de roseaux, ajoutai-je, et gardé par une femme et trois enfants.
Ragnar contempla les étincelles qui
crépitaient parmi les cabanes.
— Je ne puis aller au Jutland, dit-il à
mi-voix. J’ai juré que je te ramènerais sitôt que je t’aurais trouvé.
— Quelqu’un d’autre peut y aller, proposai-je.
Tu as deux navires, à présent. Et Sverri révélera sa cachette s’il a
suffisamment peur.
Le lendemain matin, Ragnar ordonna donc à ses
douze Danes de prendre La Marchande. Il en confia le commandement à
Rollo, son meilleur barreur. Finan, qui portait désormais une cotte de mailles
et une longue épée, supplia qu’on le laisse aller, ainsi que la Scote Ethne. Sverri
fut enchaîné à l’un des bancs de nage et, alors qu’ils quittaient le rivage, je
vis Finan le frapper du fouet qui avait lacéré nos épaules pendant tant de mois.
Le navire parti, nous fîmes traverser la
rivière aux esclaves scotes et les libérâmes sur la rive nord. Comme ils
étaient effrayés et ne savaient que faire, nous leur donnâmes une poignée de
pièces prises dans le coffre de Sverri et leur conseillâmes de marcher en
gardant toujours la mer sur leur droite. Avec un peu de chance, ils
atteindraient leur contrée. Ils risquaient d’être pris par la garnison de Bebbanburg
et de nouveau vendus comme esclaves, mais nous n’y pouvions rien. Nous les
laissâmes, remîmes le vaisseau rouge à flot et prîmes la mer.
Derrière nous, sur la colline de Gyruum qui
fumait encore, apparurent des cavaliers en armes. Ils s’alignèrent sur la crête
et une colonne descendit au galop jusqu’au marais, mais ils arrivèrent trop
tard. La marée nous entraînait vers le large. Voyant les hommes de Kjartan, je
sus que je les
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