Les Seigneurs du Nord
Je le
sais. Tu fus plus bon pour moi que je ne le méritai jamais. Sois bon avec
Guthred. C’est un homme de bien.
— Je m’en souviendrai quand je le
reverrai, éludai-je.
— Et souviens-toi qu’il a regretté ce qu’il
a fait et qu’il a agi seulement parce qu’il pensait que cela préserverait son
royaume. N’oublie point qu’il a donné à cette maison argent et repentance. Nous
avions grand besoin d’argent, car les pauvres et les malades abondent, mais l’aumône
est rare.
Je lui souris. Puis je me relevai, défis l’épée
prise à l’un des hommes de Sven à Gyruum et la broche qui retenait ma cape.
— Tu les pourras vendre, dis-je en les
laissant tomber à terre.
Puis je revêtis ma cotte et ceignis mes deux
épées avant de ramasser mon casque couronné du loup. La cuirasse me parut
immensément lourde, car cela faisait longtemps que je n’avais porté de maille. Elle
était aussi trop grande, car j’avais maigri à force de tirer ma rame. Je mis
les bracelets, puis la regardai.
— Je te fait un serment, abbesse
Hildegyth. (Elle leva les yeux et vit l’ancien Uhtred, le resplendissant
seigneur et guerrier.) Je soutiendrai ta maison, et tu auras toujours de moi
argent et protection.
Elle sourit, puis sortit de sa bourse une
petite croix d’argent.
— Voici le présent que je te fais, dit-elle,
et je prie pour que tu la vénères comme moi et retiennes sa leçon. Notre
Seigneur est mort en croix pour tout le mal que nous commettons et je ne doute
pas, seigneur Uhtred, qu’il a souffert aussi pour tes péchés.
Nos doigts se frôlèrent quand je pris la croix
en la regardant dans les yeux, et elle retira bien vite sa main. Elle rougit et
me regarda par-dessous ses paupières baissées. L’espace d’un instant, je revis
la Hild de jadis, belle et fragile, mais elle se ressaisit.
— Tu peux désormais aller à Gisela, dit-elle.
Je n’avais pas parlé d’elle et fis semblant de
ne guère m’en soucier.
— Elle sera mariée depuis, dis-je avec
désinvolture, si encore elle vit.
— Elle vivait quand j’ai quitté la
Northumbrie il y a dix-huit mois. Elle refusait de parler à son frère pour ce
qu’il t’avait fait. J’ai passé des heures à la réconforter, tant elle était
pleine de larmes et de colère. Cette fille, elle est forte.
— Et mariable, dis-je durement.
— Elle a juré de t’attendre, dit-elle
doucement.
Je posai la main sur le pommeau de mon épée. J’étais
plein d’espoir et dévoré par l’inquiétude. Gisela. Je savais que la réalité ne
serait pas à la hauteur des rêves fiévreux d’un esclave, mais je ne pouvais la
chasser de mon esprit.
— Et peut-être t’attend-elle vraiment, reprit
Hild en reculant. À présent, dit-elle avec brusquerie, nous avons des prières à
dire, des gens à nourrir et des corps à soigner.
Ainsi fus-je congédié. Je ressortis par la
petite porte dans la ruelle. Les mendiants entrèrent, me laissant seul, adossé
à la paroi de bois, les larmes aux yeux. Les passants s’écartaient
craintivement, car j’étais revêtu de ma tenue de guerrier avec mes deux épées.
Gisela… Peut-être m’attendait-elle, mais j’en
doutais, car elle était bien trop précieuse comme génisse de paix, mais je
retournerais dans le Nord dès que possible. J’irais pour Gisela. Je serrai dans
ma main calleuse la petite croix d’argent qui s’enfonça dans ma chair. Puis je
dégainai Souffle-de-Serpent et vis que Hild en avait entretenu la lame. Elle
luisait sous la couche de suif qui la protégeait de la rouille. Je la levai et
baisai la longue lame.
— Tu as des hommes à occire et une
vengeance à assouvir, dis-je.
Et il en était ainsi.
Le lendemain, je
trouvai un forgeron. Il me dit être trop occupé et ne pouvoir travailler pour
moi avant quelques jours. Je lui répondis qu’il devrait le faire céans, faute
de quoi il ne travaillerait plus jamais, et nous finîmes par nous accorder.
Souffle-de-Serpent est une arme splendide. Elle
a été forgée par Ealdwulf le Forgeron en Northumbrie, et sa lame est magique, souple
et résistante. J’avais voulu que la poignée d’acier soit ornée d’argent ou de
bronze doré, mais Eadwulf avait refusé.
— Ce n’est qu’un outil qui doit te rendre
la tâche plus facile, avait-il dit.
De part et d’autre de la soie, elle était
pourvue de quillons de frêne que le temps avait polis. C’était dangereux, car
dans la bataille ils étaient
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