Les Seigneurs du Nord
a opposé plus de deux cents. Il n’a pas
tenté de combattre.
— Où est-il, alors ?
— Il a fui, seigneur.
— Où ?
— Sans doute vers l’ouest, seigneur, vers
le Cumbraland.
— Kjartan ne l’a point suivi ?
— Kjartan, seigneur, ne s’éloigne jamais
guère de Dunholm. Il craint qu’Ælfric de Bebbanburg n’attaque son château s’il
s’en éloigne.
— Et où avez-vous été mandés ? interrogea
Ragnar.
— Nous devons retrouver le seigneur Ivarr
à Thresk.
— Thresk ? répéta Ragnar, intrigué.
(C’était un village au bord d’un lac,
à quelques lieues à l’est. Guthred, apparemment, était parti à l’est et Ivarr
levait son armée à l’opposé. Ragnar comprit alors.) Ivarr va attaquer Eoferwic ?
— Si l’on prend sa cité, où ira Guthred ?
acquiesça Hakon.
— À Bebbanburg ? suggérai-je.
— Des cavaliers suivent Guthred, dit
Hakon. Et s’il tente de partir vers le Nord, Kjartan se remettra en marche. (Il
toucha son épée.) Nous anéantirons pour de bon les Saxons, seigneur. Ivarr sera
heureux de ton retour.
— Ma famille, répondit durement Ragnar, ne
combat point aux côtés de Kjartan.
— Pas même pour piller ? demanda
Hakon. J’ai ouï dire qu’Eoferwic était riche.
— Elle a déjà été pillée, dis-je. Que
veux-tu qu’il y reste ?
— Assez, répondit platement Hakon.
Je songeai qu’Ivarr avait conçu une habile
stratégie. Pendant que Guthred, accompagné de trop peu de lanciers et encombré
par des prêtres, des moines et un saint mort, errait dans le mauvais temps, ses
ennemis allaient s’emparer de son palais et de sa cité ainsi que de la garnison
constituant l’essentiel de ses forces. Pendant ce temps, Kjartan empêchait
Guthred d’atteindre le refuge de Bebbanburg.
— À qui est ce château ? s’enquit
Ragnar.
— Il appartenait à un Saxon, seigneur.
— Appartenait ?
— Il a tiré son épée, expliqua Hakon. Il
est donc mort, avec ses gens. Sauf deux filles, qui sont dans l’étable, si tu
les désires.
D’autres Danes arrivèrent à la tombée de la
nuit. Ils allaient tous à Thresk et le château faisait un bon abri contre la
tempête. Il y avait de l’ale, et les hommes s’enivrèrent joyeusement car
Guthred avait commis une grave erreur. Il était parti vers le Nord avec trop
peu d’hommes, croyant que les Danes ne broncheraient point ; à présent, ces
Danes avaient la promesse d’une guerre facile et de fructueux pillages.
Nous nous installâmes sur l’une des
plates-formes pour dormir.
— Nous devons aller à Synningthwait, dit
Ragnar.
— À l’aube, opinai-je.
— Pourquoi là-bas ? demanda Beocca.
— Parce que c’est là que se trouvent mes
hommes, dit Ragnar, et que c’est ce dont nous avons besoin : des hommes.
— C’est Guthred que nous devons trouver, insista
Beocca.
— Il nous faut des hommes pour cela, dis-je.
Et des épées.
La Northumbrie sombrait dans le chaos, la
meilleure manière d’y survivre était de s’entourer d’épées et de lances.
Trois Danes ivres nous avaient regardé parler
et ils étaient intrigués, peut-être offensés, qu’un prêtre chrétien participe à
notre conversation. Ils vinrent nous demander qui était Beocca et pourquoi nous
l’avions avec nous.
— Pour le cas où nous aurions faim, répondîmes-nous.
La répartie les satisfit, et la plaisanterie
répétée aux autres fit rire tout le
monde.
La tempête se calma dans la nuit. À l’aube, ne
tombaient plus qu’une fine bruine et des gouttes par le toit. Nous revêtîmes
nos cottes de mailles et nos casques et, pendant qu’Hakon et les Danes
partaient vers Thresk, nous gagnâmes les collines à l’ouest.
Je pensais à Gisela, perdue quelque part dans
ces terres et victime des manœuvres désespérées de son frère.
Guthred avait dû croire que l’année était trop
avancée pour que les armées se réunissent et qu’il pourrait passer discrètement
devant Dunholm pour gagner Bebbanburg sans que les Danes ne s’opposent à lui. À
présent, il était sur le point de tout perdre.
— Si nous le trouvons, demanda Beocca en
chemin, pourrons-nous le ramener à Alfred ?
— Et pourquoi cela ? demandai-je.
— Pour le garder en vie. S’il est
chrétien, il sera bienvenu en Wessex.
— Alfred veut qu’il soit roi ici.
— Il est trop tard, répondit Beocca d’un
ton lugubre.
— Non point, dis-je.
Beocca me regarda comme si j’étais
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