Les Seigneurs du Nord
mais nous oui. Alors
taisez-vous.
Ragnar contempla les flammes. C’était un homme
de belle allure, résolu et jovial, mais il semblait troublé. Il se tourna vers
moi.
— Tu pourrais être roi, me dit-il.
— Je le pourrais.
— Nous devons soutenir Guthred ! glapit
Beocca.
— Finan, dis-je, à côté de moi se trouve
un prêtre louchard et infirme. S’il parle encore, égorge-le.
— Uhtred ! piailla Beocca.
— Je lui autorise ce dernier mot, mais la
prochaine fois qu’il parle, envoie-le rejoindre ses aïeux.
Finan sourit et tira son épée. Beocca se tut.
— Tu pourrais être roi, reprit Ragnar
tandis que Brida me fixait de ses yeux noirs.
— Mes ancêtres l’étaient et leur sang est
en moi. C’est le sang d’Odin.
Mon père, bien que chrétien, avait toujours
été fier que notre famille descende d’Odin.
— Et tu ferais un bon roi, reprit Ragnar.
Il vaut mieux qu’un Saxon règne, et tu es un Saxon qui aime les Danes. Tu
pourrais être le roi Uhtred de Northumbrie, et pourquoi pas ?
Brida continuait de m’observer. Je savais qu’elle
se rappelait la nuit où le père de Ragnar était mort et où Kjartan et sa horde
hurlante avaient massacré toute la famille.
— Alors ? demanda Ragnar.
Je fus tenté, je l’avoue. En leur temps les
miens avaient été rois de Bernicie, et à présent le trône de Northumbrie était
vacant. Avec Ragnar à mes côtés, je pouvais compter sur le soutien dane et sur
l’obéissance des Saxons. Ivarr résisterait, bien sûr, tout comme Kjartan et mon
oncle, mais ce n’était pas nouveau et j’étais certain d’être un meilleur soldat
que Guthred.
Pourtant, je savais que ce n’était point mon
destin d’être roi. J’en ai connu de nombreux et leurs vies ne sont pas qu’argent,
banquets et femmes. Alfred semblait épuisé par ses devoirs, en partie à cause
de sa débilité, en partie à cause de son dévouement à sa tâche. Pourtant, il
avait raison de s’y consacrer si entièrement. Un roi doit régner, maintenir l’équilibre
entre les grands thanes de son royaume, repousser les rivaux, garder ses
coffres pleins, entretenir routes, forteresses et armées. Je pensai à tout cela
sous le regard de Ragnar et de Brida tandis que Beocca retenait son souffle, et
je sus que je ne voulais pas de cette charge. Je voulais l’argent, les banquets
et les femmes, mais pour cela je n’avais nul besoin d’un trône.
— Ce n’est point mon destin, répondis-je.
— Peut-être ne le connais-tu pas, objecta
Ragnar.
— Mon destin, répondis-je, est d’être le
seigneur de Bebbanburg. Je le sais. Et je sais que la Northumbrie ne peut être
gouvernée depuis Bebbanburg. Mais c’est peut être ton destin à toi.
— Mon père, son père et le sien avant lui
étaient tous des Vikings. Nous voguions là où nous pouvions prendre des
richesses. Nous avons connu la fortune. Nous avions le rire, l’ale, l’argent et
la bataille. Si je devais être roi, je devrais protéger tout ce que je possède.
Au lieu d’être un Viking, je serais un berger. Je veux être libre. J’ai trop
longtemps été otage et je veux la liberté. Je veux mes voiles dans le vent et
mes épées dans le soleil, sans être accablé par des devoirs. (Il avait pensé
comme moi, mais il s’était exprimé avec plus d’éloquence. Il sourit soudain, comme
soulagé d’un fardeau.) Je veux être plus riche qu’aucun roi, déclara-t-il à ses
hommes, et que vous le soyez aussi.
— Alors qui sera roi ? demanda Rollo.
— Guthred.
— Dieu soit loué… soupira Beocca.
Les hommes de Ragnar ne furent guère heureux
de ce choix. Rollo parla en leur nom.
— Guthred favorise les chrétiens. Il est
plus saxon que dane. Il veut nous faire tous adorer son dieu cloué sur une
croix.
— Il fera ce qu’on lui dit, répondis-je d’un
ton ferme. Et la première chose que nous lui dirons, c’est que nul Dane ne paie
la dîme. Il sera roi comme l’était Egbert, obéissant aux vœux des Danes. Ce qui
importe, continuai-je sans prêter attention aux protestations de Beocca, c’est
quel Dane lui donne les ordres. Ivarr ? Kjartan ? Ou Ragnar ?
— Ragnar ! s’écrièrent-ils tous.
— Et mon vœu, dit celui-ci en s’approchant
du feu, c’est de voir la défaite de Kjartan. Si Ivarr bat Guthred, Kjartan se
renforcera et il est mon ennemi. Il est notre ennemi. Il y a une dette de sang
entre sa famille et la mienne, et je souhaite la faire payer
Weitere Kostenlose Bücher