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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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oreilles, il relut le texte signé Louis Pelletier chapardé dans le recueil de Larcher.
    … Le quai de Voltaire évoquait une galerie d’estampes et de reliures ayant appartenu à des familles nobles persécutées. Je suis sur une piste. Il me faut chercher Le Milieu du Monde…
    « Amadeus, ressaisis-toi, tu as toujours bénéficié d’un excellent jugement. On t’a comparé à Cassandre qui a prédit la ruine de Troie, on a refusé de te croire et le pire s’est produit. Aujourd’hui, qu’y a-t-il de changé dans la nature humaine ? Quelques années s’écouleront encore dans un calme relatif et brusquement le pouvoir, l’argent, l’avidité saperont tout sur leur passage, entraînant le meurtre à grande échelle, les pillages, l’exil. Si ce secret tombe entre de mauvaises mains… Voyons, concentre-toi… Le Milieu du Monde … Le Milieu du Monde…  »
    Une étincelle commençait à percer les ténèbres, une lueur aussi fugace qu’une luciole en plein vol. Une musique chanta en lui, la musique du par cœur dont même l’emprisonnement durant deux ans dans une geôle, sans livres, sans papier ni plume, n’avait pu effacer la richesse. Il s’était récité des poèmes de Ronsard, des extraits des Essais de Montaigne et d’autres prosateurs vivant en ses souvenirs… Le par cœur avait préservé son intégrité, l’avait relié au monde et à la liberté.
    Des strophes émergèrent de sa mémoire :
    Cherchez Le Milieu du Monde ;
    Et tout près vous la trouverez
    Sous des galeries voûtées
    Jadis un homme arme portant
    Veillait sur…
    Il comprit qu’il tenait le fil conducteur. Il s’agissait de se montrer perspicace.
    « Celui qui va hériter du texte intégral saura-t-il le déchiffrer ? À supposer qu’il y parvienne, cela ne servira qu’à lui attirer les pires ennuis, mon bon Grippeminaud. Je suis bien placé pour le savoir et, mâtin, je suis prêt à tout et à n’importe quoi pour que la source disparaisse à jamais. Deux victimes suffisent. L’isolement est insupportable, pas d’amis, pas de famille… Ah ! la famille, mon bon Grippeminaud, la plus admirable invention qui existe ici-bas. Quelle aubaine que la descendance de Louis Pelletier n’ait pas détruit les pépites patiemment réunies par l’aïeul, notamment ce texte qui me tombe du ciel ! La providence des fouineurs en quête de documents précieux est sans conteste cet assemblage d’humains qu’un hasard bénéfique ou malencontreux associe à un même arbre généalogique… La famille, Grippeminaud ! Vive la famille ! »
    « Il y avait une fois, au petit pays de Guebwiller, en Alsace, une famille Schwartz qui florissait, croissant et multipliant avec une évangélique abondance, expédiant ses couvées à Paris, en province, à l’étranger […] Aussi, je vous mets au défi de trouver en Europe une cité de deux mille âmes qui ne possède au moins un Schwartz ! »
    À l’heure où Amadeus clarifiait le texte de Louis Pelletier, Victor Legris, de retour à son domicile, parcourait le début des Habits noirs 4 .
    Il était rentré chez lui sans bruit. Alice dormait sur le dos, ses deux poings sur l’oreiller brodé. Roulée en boule, Kochka blottie contre sa hanche, Tasha s’agitait en geignant. Il avait remarqué L’Aurore sur la table de nuit. Ainsi, elle était au courant. Il avait éprouvé un soupçon de culpabilité, une fois de plus il lui avait servi une fable pour s’éclipser.
    « C’est la faute d’Euphrosine. »
    Il avait contemplé ses deux amours. Quelle félicité d’être en vie et tellement comblé ! Il avait refermé la porte et gagné son labo photo. La salamandre rougeoyait, Tasha avait pensé à l’allumer.
    Il s’installa dans son fauteuil râpé, près du poêle, se déchaussa, posa ses pieds sur une chaise et poursuivit sa lecture.
    « … qui ne possède au moins un Schwartz ! En 1825, il y en avait deux à Caen : un commissaire de police aussi probe qu’habile… »
    Il claqua le livre, il ne pouvait se concentrer. Deux événements s’affrontaient en lui. La réaction haineuse de Mme de Salignac l’avait bouleversé. Peut-être aurait-il dû modérer ses propos ? Il songea subitement à sa fille. Puisque Tasha était juive, Alice l’était également.
    — Hors de question de baisser pavillon. Tant pis si la moukère fomente une cabale. Nous vivons en démocratie, je me défendrai, Kenji approuvera.
    La réminiscence de son incursion chez

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