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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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chameau. Vous la trouvez séduisante ? Ce doit être parce qu’elle est blonde.
    Son étalage bâclé, elle s’installa sur son pliant, son tricot sur les genoux. Victor prit conscience que le motif blanc qui se découpait sur le fond bleu d’une écharpe n’était pas une ancre marine mais un pot de confitures.
    Effarouchées, les statues se prosternèrent sur leurs piédestaux : de quel sein glacé étaient-elles issues ? Leurs yeux de marbre ou d’airain fixèrent avec étonnement leurs corps rigides, leurs mains ébauchèrent le geste de saisir l’air. Un poing minéral se crispa…
    écrivait Iris dans son cahier. Daphné suçait son pouce. Arthur s’était rendormi dans son berceau après un bref accès de pleurs.
    Elle cala les oreillers qui glissaient et se pelotonna plus confortablement dans le lit. Joseph la croyait-il sourde et stupide ? Elle avait entendu sa conversation téléphonique et n’était pas dupe de son explication embarrassée. Il y avait belle lurette que l’expertise d’une bibliothèque en banlieue un dimanche matin camouflait un autre genre de rendez-vous. Victor, bien sûr. Fidèle à un code qui n’avait plus de secret pour elle, Joseph avait échangé quelques mots avec Lulu, la serveuse du Temps perdu , et l’avait priée de prévenir le monsieur assis contre la vitre qu’on désirait l’entretenir. Un silence – elle imaginait Victor se redressant et posant une soucoupe sur sa tasse afin que le café demeurât chaud –, puis un soliloque excité d’où se détachèrent les mots « aucun danger, elle somnole », « la modiste », « maintenant ? », enfin le « J’arrive » traditionnel.
    Inutile de lui faire perdre la face. À peine si elle avait entrouvert les paupières lorsqu’il s’était penché vers elle et l’avait embrassée en murmurant :
    — Cet achat à Vitry promet, rien que des basanes et des maroquins, il se pourrait que je dîne dehors, ma chérie.
    Dès que la porte se fut close en douceur, un trottinement rapide l’avertit qu’elle n’était pas seule à savoir Joseph parti. Daphné occupait à présent la place vide encore tiède et serrait contre son cœur le cadeau de son grand-père, un jeu de cartes hanafuda fabriqué en 1889 à Kyoto par la firme Nintendo.
    Suçant le bout de son crayon, Iris s’efforçait de se concentrer sur son récit, unique manière de chasser l’inquiétude qui s’était emparée d’elle. Ils enquêtaient, une fois de plus.
     
    Lulu prépara à ses deux habitués favoris un assortiment de tartines beurrées et un plateau de fromages destinés à leur tenir lieu de petit déjeuner, de déjeuner et de goûter. La bouche pleine, ils se firent part de leurs interrogations concernant la mort de Sosthène Larcher, de Philomène Lacarelle et de celle de l’homme sans tête du quai Voltaire. Lestés de pain, de brie et de café, ils grimpèrent dans un fiacre qui les emporta rue de Paradis.
    — On dirait un musée de porcelaines, remarqua Joseph, planté devant une boutique emplie de bergers et de marquises. Oh ! et ces animaux de Saxe, quelle finesse ! Maman en serait toquée.
    — Nous ne sommes pas ici pour les vitrines, grommela Victor, qui parvint à remorquer son beau-frère jusqu’à un immeuble à l’entrée duquel stationnait une cohorte de piétons impatients.
    — Ne me dites pas que c’est là qu’habite votre modiste ! s’écria Victor.
    —  Ma modiste ! D’abord, ce n’est pas ma modiste ! Cuisinez-les donc vous-même, repartit Joseph.
    Le dernier de la file, un quinquagénaire chauve et timide, leur apprit qu’il souhaitait obtenir une entrevue avec Mlle Couedon, la célèbre voyante qui avait prédit le cyclone de 1896 et l’incendie du Bazar de la Charité.
    — Je voudrais tant savoir si la fille que j’ai eue d’une seconde union finira par se marier, et si j’aurai une descendance.
    — Dans les deux cas, vous récolterez des ennuis. Célibataire, elle continuera de vivre à vos crochets, mère de famille, elle vous extorquera des subsides. Il est vain de poireauter et de vous ruiner pour une consultation parce que…
    Joseph n’eut pas le loisir d’achever sa phrase, de nouveau charrié par Victor en direction d’un magasin cerné d’un cordon de policiers.
    — Elle est raide, vous m’avez tordu le poignet, qu’est-ce qui vous… protesta Joseph.
    — J’ai la fâcheuse impression que notre modiste a écopé d’un sort funeste, insinua Victor,

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