Les spectres de l'honneur
Rollans. Ils tentèrent de s’interposer. Ils furent immédiatement taillés en pièces.
Beau travail de la part des Bretons et des « Français ».
Il faut préciser ici que Froissart, éludant les négociations qui, avant le drame, réunirent Guesclin et Pèdre – quand Men Rodriguez de Senabria s’effaçait -, laisse à penser que cette rixe fut fortuite. C’est malheureusement faux, et les récompenses extraordinaires que Guesclin obtint dès la mort de Pèdre confirment, s’il en est besoin, la version du complot décrite par Pedro Lopez de Ayala qui, étant en quelque sorte sur place, obtint des témoignages irréfutables. Son récit, très défavorable au Breton, a été adopté par les historiens espagnols.
Guesclin aurait-il dit lors de son intervention – ou après – :
– Je ne fais ni ne défais des rois, mais je sers mon seigneur ?
Sans doute pas : cette excuse trop bien léchée ne peut-être de lui. Il se serait plutôt exclamé :
– Merdaille ! On l’a eu, ce sale Juif.
Selon certains récits, quelqu’un (mais qui ?) cria : « Franc jeu ! » avant le commencement de l’empoignade. Or, il est avéré que le combat était prévu depuis quelques jours et son issue certaine.
Un Catalan anonyme cité par Llaguno, d’après Ayala, attribue la même intervention néfaste et les mêmes paroles : « Yo no pongo ni quito reyes, mas ayudo a mi senor » à un écuyer de don Henri : Fernando Perez de Andrada. Mais son nom n’apparaît pas parmi les témoins du meurtre 360 .
Les charges contre Guesclin apparaissent tellement évidentes qu’un seul partisan intransigeant du breton se chargea de sa défense. C’est un bénédictin, Dom Édouard M. de Cœtlosquet. Dans une étude sur Du Guesclin et le drame du château de Montiel (Revue historique de l’Ouest, 1889, pages 250-265) il écrit que les capitaines français, n’ayant pas mesuré le degré de haine des adversaires, « jurent pris au dépourvu » par la brusquerie du drame. C’est un comble ! Les Français savaient à quoi s’en tenir et, comme Henri, voulaient la mort de Pèdre : il y aurait des récompenses grandioses à la clé !… Mais ce bénédictin était breton. Il fallait qu’il volât au secours de son dieu, même posthumément !
Où le meurtre fut-il commis ?
Si Froissart ne parle pas de tente, mais de la chambre de Yons de Lakonnet, située dans le logis du Bègue de Villaines, Ayala précise : la posada (demeure) de Mosen Beltran, et un autre chroniqueur insiste : la tienda (tente) de Beltran Claquin. Comme ce texte précise que Pèdre y fut mené pasadas las barreras (les barrières franchies) on peut conjecturer que le drame eut pour lieu une des maisons du village.
Un fait paraît certain : Henri entama la décollation de son frère.
Avant de quitter Montiel, Pèdre avait fait présent à l’un de ses écuyers d’une bourse qu’il portait à son cou. Elle contenait, dans une petite boîte, un clou de la Passion.
L’écuyer fut fait prisonnier dès sa sortie du château. Un Breton s’appropria la relique et la vendit 4 000 doblas à Guesclin.
Le Breton eût pu donner le clou au roi Charles V dont il connaissait la piété. Il préféra l’offrir à Jean, duc de Berry, afin d’en tirer quelque avantage. Lequel Jean offrit ce clou à son frère, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, après avoir fait établir, le 23 avril 1376, un procès-verbal résumant cet ensemble de faits.
Alors qu’il pataugeait dans le sang de son frère et des deux autres victimes, Henri décida, prenant Guesclin à témoin :
– Je ferai bâtir ici une abbaye pour le repos de l’âme du roi Pedro qui fut mon frère.
Il existe des gens qui ne valent pas un clou.
Dans son roman, le Bâtard de Mauléon, sans doute l’un de ses plus mauvais parce que, peut-être, il l’écrivit seul, Alexandre Dumas conte à sa façon la mort du roi Pèdre, qu’il fait précéder d’une « bataille de Montiel » où l’on voit apparaître, ce qui est un comble, Hugh Calveley 361 . Ensuite, lors de la nuit qui fut fatale à Pèdre, on peut voir un Henri tout gentil opposé à un roi arrogant, abreuvant son demi-frère de « sanglants outrages ». Or, c’est le connétable anticipé, Guesclin qui, de son poignet (!) nerveux, saisit le pied de don Pedro et lui fait perdre l’équilibre. On lit :
« Ce fut un éclair. L’acier plongea tout entier dans la gorge (!) de don Pedro, un flot de sang
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