Les spectres de l'honneur
fermement son bras :
– Roi Henri, ne vous méprenez pas. Pèdre est… mon loyal prisonnier. Si vous le tuez dans… dans mes mains, vous en aurez m… moins d’amis et qui perd ses… ses amis, je dis moi, qu’il en vaut pis.
Le Bègue bégayait à peine. Il ajouta sans que sa voix s’interrompît :
– Je vous rendrai Pèdre, qui est mon prisonnier, par telle condition que vous me veuillez payer rançon tout denier à denier comme un tel prince doit donner et payer.
Ainsi, Villaines se découvrait. On repataugeait dans la fange. Le Bègue ajouta, admirable dans son ignominie même :
– Et s’il est nul qui dise et veuille témoigner que que le roi Pèdre ne soit pas mon lo… loyal prisonnier sans que j’aie pensé trahison, sans que que j’aie cherché malice, sans savoir qu’il dût sortir du sentier, mais au au contraire que Dieu me fit veiller par droite aventure, s’il en est un qui veuille signifier le contraire, je m’en voudrai purger avec l’acier.
C’était un discours d’une ignoble fausseté mais, avec Villaines, il fallait s’y attendre : il avait tous les courages sauf celui de ses actes. Nul ne s’avança pour le contredire.
« Pas même moi, Castelreng, qui pourrais dénoncer son hypocrisie et son outrage à Dieu dont il prétend se recommander ! »
On louait à haute voix ce menteur ; certains applaudissaient, en tout premier lieu Alain de la Houssaye dont les yeux de dogue enrhumé larmoyaient de plaisir.
– Gentil Bègue, dit Henri quand le silence fut revenu, je sais bien que vous portez le cœur d’un loyal chevalier. Vous me rendrez Pèdre, je vous en veux prier. Je paierai la rançon à votre gré, telle qu’il appartient à un tel prisonnier.
Villaines considéra, autour de lui, la fleur des Chevaleries française et espagnole. Et d’un trait, solennel, sans trop de faiblesse vocale et sans regarder Pèdre dont la fureur l’enveloppait, mais en voyant un tabellion écrire :
– Sire Henri, roi d’Espagne, je, Pierre de Villaines, che… chevalier de… de… de France, qui suis venu en ces parties pour… pour votre secours, vous fais savoir qu’en rem… remplissant mon devoir et faisant le guet en en votre siège devant le châtel de Montiel, j’ai ren… con… rencontré le roi Pèdre qui était sorti de nuit du châtel et l’ai pris. Il est mon… mon prisonnier loyalement.
Que ce Judas parlât de loyauté excéda Tristan. Il se mit à tousser pour l’interrompre. En fait, le Bègue était tellement accablé par la honte et tellement heureux qu’un scribe rapportât ses paroles qu’il revenait sur des faits mensongers dont Henri ne se souciait pas plus que de sa première maîtresse.
–… Et je vous jure par ma foi et par mon mon serment que je ne savais rien de sa venue, mais que j’ai trouvé l’aventure telle qu’il a plu à à… Di… Dieu de me l’envoyer.
Encore cette référence à Dieu. Fallait-il qu’il se sentît fautif, le Bègue !
–… et je vous dis ces ces choses parce que… que certains murmurent que je savais son départ et que je l’ai pris m… m… mauvaisement en trahison.
– C’est vrai. Par Dieu, le Bègue, vous étiez dans le complot.
– Men Rodriguez dit vrai ! hurla Fernand de Castro.
Une huée couvrit ces voix.
– Mais, poursuivit le Bègue, s’il est en ce monde au… aucun chevalier qui veuille maintenir que Pèdre ne soit pas… pas… lo… loyalement mon prisonnier, je suis prêt à prouver par mon corps le contraire devant vous 120 !
Une huée souligna cette fin : celle des quatre compagnons de Pèdre.
Tristan avait senti d’autant mieux la menace que le Bègue l’avait défié d’un regard éloquent. Il vit Kerlouet et Boisset désarmer Senabria et Castro, puis Elme et Rollans tandis que Villaines, s’adressant à Henri, disait :
– Il est à vous.
Pèdre, aussitôt, recula d’un pas.
– Juif ! Traître ! hurla Henri. Je te ferai écorcher vif tous les membres.
– Bâtard ! s’écria Pèdre, sa dagasse au poing.
Henri se précipita, son perce-mailles levé. Il frappa le prisonnier, serré entre Villaines et Kerlouet de trois coups de lame dont l’un atteignit Pèdre à la joue.
Un « Oh ! » hypocritement réprobateur sortit des lèvres de Villaines et de Boisset.
Les deux frères étaient trop proches l’un de l’autre, trop serrés par les capitaines pour tirer l’épée, mais leurs courtes lames étaient aussi
Weitere Kostenlose Bücher