Les templiers
lancée. Le pape, les évêques, les prélats et les barons ayant été consultés, le roi avait dû céder aux supplications de « son bien-aimé en Notre Seigneur frère Guillaume de Paris, inquisiteur de l’hérésie, qui avait invoqué spontanément le secours du bras séculier. » Le discours emphatique du Garde des Sceaux fut lu ensuite dans toutes les villes de province. Et le dimanche 15 octobre, une assemblée populaire eut lieu dans les jardins du palais, semblable à celle de 1303 contre Boniface, qui avait été une sorte de répétition générale.
Pour exhorter les frères à parler, on leur proposa le pardon ou la mort. Les inquisiteurs devaient les interroger pour examiner la vérité et, comme dit le texte, « par torture, si besoin est. »
Les instructions furent si bien suivies que le Grand Inquisiteur et ses acolytes expédièrent au siège même de l’Ordre, cent trente-huit prisonniers.
Les archives possèdent encore les procès-verbaux des enquêtes et des interrogatoires menés par les inquisiteurs en Champagne, en Normandie, en Quercy, en Bigorre, en Languedoc, en Ile-de-France et ailleurs.
Les Templiers de Paris comparurent dans leur propre maison, devant ces moines blancs, fils de Saint-Dominique, qui croyaient posséder la science infuse, tenir la clé de la théologie et l’esprit même de la pure philosophie, mais qui n’étaient pas à un crime près, s’étant exercés sur les Cathares.
Les moines-chanoines blancs de la prédication étaient assistés des greffiers, des bourreaux et d’une foule de spectateurs triés sur le volet. Les comptes rendus notariés n’enregistrent que les dépositions, sans mention de tortures. Ce n’est que plus tard que les victimes en parleront.
Jacques de Saci signale qu’il vit mourir vingt-cinq frères des suites de la question. Aux récalcitrants, on attacha des poids aux parties génitales. D’autres furent mis au pain et à l’eau pendant le mois précédant leur comparution.
La preuve de l’intensité des supplices est l’unanimité des aveux. Tous les interrogatoires disent exactement la même chose. Sur cent trente-huit frères qui comparurent, deux seulement sont mentionnés comme n’ayant pas parlé : le frère Jean, âgé de 24 ans, qui n’avoua rien, et le frère Lambert de Toysi, âgé de 40 ans, qui récita les statuts de l’Ordre pendant tout son interrogatoire. Quelques-uns essayeront de lutter, mais en vain. Le frère Gautier de Bullex, de la commanderie de Bayeux « essaya de s’échapper par des prières et des tergiversations, mais les frères prêcheurs, à force d’objurgations – c’est le compte rendu qui le dit – , de bonnes raisons et d’inductions, l’encouragèrent à parler. » Après avoir reçu de « bonnes paroles » de l’Inquisition, il se jeta à genoux en pleurant et avoua la moitié des crimes formulés contre l’Ordre.
Un autre Templier de Troyes, âgé de 28 ans, avoua l’insulte au crucifix. Comme l’on continuait à le torturer, un moine poussa un cri d’humanité arraché à la carapace des habitudes professionnelles dominicaines : « Ne lui faites pas trop de mal, il est si jeune ! »
Les trois grands dignitaires de l’Ordre, malgré leur bravoure, parlèrent eux aussi sous la torture. Il est compréhensible que des subalternes, pour complaire à leurs bourreaux, aient inventé des perfidies inédites – tels Guillaume de Gi sur les rapports sexuels avec le Maître, ou Reysüer de Larchent qui suggéra aux inquisiteurs de rechercher l’allusion aux actes dans le début du psaume que les Templiers chantaient lors de leur profession.
Les inquisiteurs de Province firent leur métier avec conscience : on leur avait demandé non pas de rechercher la vérité « mais de faire reconnaître des choses comme vérité ». Pourtant, un dominicain, Pierre Dumarais, déclarera plus tard aux commissaires du pape qu’il avait assisté aux dépositions de nombreux Templiers. Certains avouèrent et d’autres nièrent, dira-t-il, et « J’ai beaucoup de raisons de croire que ceux qui niaient méritaient plus de créance que » les autres ».
Le pape fut courroucé d’apprendre le coup de main, pratiquement accompli sous son nom et en son nom. Se ressaisissant, il écrivit au roi pour se plaindre d’un procédé qui outrageait l’Église entière. Puis, revenant sur sa décision, par le jeu diplomatique de Nogaret, il publia en novembre
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