Les valets du roi
Mary en se dressant à demi sur le lit.
— Et tous ses biens. Il n’avait pas d’héritier. Il se savait condamné, c’est la raison pour laquelle Tire-grenaille avait tenu à m’associer à son affaire, pour faciliter les démarches administratives.
Près d’elle, Junior dormait en suçant son pouce. Mary, d’une main engourdie, était occupée à le bercer par un léger mouvement du poignet sur le montant du lit à bascule, lorsque Niklaus était entré tantôt. Sous le coup de la surprise, son geste s’était fait plus saccadé et l’enfançon avait grimacé. Mary avait ôté sa main. Il était grand temps pour elle d’avoir une conversation avec Niklaus.
— Que comptes-tu faire ? demanda-t-elle abruptement.
Niklaus comprit aussitôt le sens caché de sa question. Fin stratège, il savait qu’il ne servirait à rien de la brusquer. Il valait mieux ruser, comme il l’avait fait au moment de sa demande en mariage. Il était certain qu’avant longtemps Mary lui en saurait gré.
— La garder dans un premier temps selon le souhait de mon cousin. L’auberge nous assurera de quoi vivre confortablement jusqu’à ce que Junior ait grandi un peu et que tu aies retrouvé ta vitalité. Si je la vendais tout de suite, mon père s’empresserait de me récupérer à ses côtés et je n’aurais plus d’arguments pour refuser. Or ce n’est pas ce que nous désirons, toi et moi. Il me faut préserver mon indépendance si nous voulons partir à la recherche de ton trésor.
Mary baissa sa garde, désarçonnée par le sourire tendre et l’œil sincère de Niklaus.
— Je croyais que cela ne faisait plus partie de tes projets, avoua-t-elle.
— Je ne veux pas te perdre, Mary Olgersen. C’est cela mon seul et unique projet, assura-t-il en toute franchise. Accorde-nous vingt mois, Mary, ensuite, je te le promets, nous partirons en quête.
— Vingt mois.
Elle soupira.
— Tu l’aimes déjà, chuchota Niklaus en se penchant au-dessus d’elle, enlaçant les doigts de Mary qui, instinctivement, s’étaient crochetés sur le lit de Junior pour le bercer de nouveau.
— C’est vrai.
Leurs regards se fondirent en une même tendresse.
— Laisse-le grandir. Alors tu vivras avec lui la complicité que Cecily avait avec toi, mais sans douleur, sans heurt et surtout, Mary, sans misère. Je ne permettrai jamais que vous en souffriez.
— Vingt mois, accorda Mary.
— Le temps d’éloigner de lui les humeurs malignes des nourrissons. Le temps pour toi de cesser d’avoir peur de le perdre et de retrouver le goût de mes baisers. Le temps enfin pour Mary Read-Olgersen d’aller sereinement au-devant de sa destinée.
— Je t’aime, Niklaus, murmura-t-elle sur son souffle, retrouvant soudain l’envie de lui qu’elle avait perdue à force de détester son allure et ses maux de grossesse.
— Moi aussi, je t’aime. Je t’aime comme je n’ai jamais aimé.
Huit mois plus tard, les troupes s’étant éloignées pour reprendre les hostilités, le quotidien avait repris son cours à Breda. Comme chaque année à cette période, l’auberge souffrait d’un manque réel de clientèle. Lucas Olgersen s’en désolait secrètement, tout en affichant par orgueil le contraire. Niklaus et lui n’avaient toujours pas fait la paix.
Les musiciens ne jouaient plus que rarement, et la clientèle potentielle des habitants de Breda s’était tournée vers un autre établissement.
Niklaus possédait une fortune suffisante pour ne pas s’en inquiéter pendant encore de longues années. La perspective de la signature du traité de paix que l’on prédisait pour l’automne ne l’inquiétait pas. Il avait d’autres projets.
Sur l’auberge désespérément vide, le soleil se couchait, embrasant un azur dégagé de nuages. A l’intérieur pourtant, ils s’accumulaient à la vitesse des pas de Mary dévalant l’escalier. Elle beugla :
— Niklaus ! Montre-toi que je t’étripe !
Mary se retourna vers la soigneuse qui la suivait, embarrassée de cette étonnante réaction.
— Vous, s’égosilla Mary en se retournant vers elle, je vous conseille de filer !
Elle ne se fit pas prier. Mary poussa la porte de la cuisine.
— Où se trouve mon chien d’époux ? lança-t-elle à Frida occupée à trier les légumes pour le souper.
— Il est descendu à la cave, s’empressa de répondre celle-ci.
Elle se garda bien de demander ce qui pouvait déchaîner une telle fureur quand
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