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Les valets du roi

Les valets du roi

Titel: Les valets du roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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prétendait en riant que ce n’était rien, mais Niklaus avait bien compris à sa façon de se comporter et même à sa manière de l’associer qu’il se savait condamné. Gros Reinhart et Lucas Olgersen, son frère, s’étaient toujours mal entendus, le commerce de l’un gênant le sérieux de l’autre. Souvent les deux cousins se voyaient en cachette pour ne pas que Lucas Olgersen soit dérangé dans ses activités de notaire par le qu’en-dira-t-on qui effrayait tant sa femme.
    La seconde raison était que Niklaus pensait Mary beaucoup plus capable d’apprécier la vie d’une auberge que celle d’une étude notariale. A présent que les quartiers d’hiver s’annonçaient, il ne se passait pas une journée, une heure, une minute, qui ne soit festive, malgré le travail que la gestion hôtelière supposait.
    Mary aurait davantage souffert du supplice des heures à broder, filer ou deviser auprès de sa belle-mère. Niklaus l’avait vue se languir d’ennui. Mary avait trop soif d’aventure pour enrouler des quenouilles en ayant l’air de s’amuser. Là, au moins, elle ne faisait pas semblant. Quant aux filles de salle, jamais Mary ne se serait abaissée à les traiter de putains. A l’auberge des Trois Fers à cheval, elles accomplissaient leur tâche avec l’honnêteté de leur condition. Gros Reinhart, veuf depuis de longues années, les avait toujours traitées avec bonté et indulgence, n’imposant à aucune sa couche et ne choyant pas davantage qu’une autre celle qui par pitié ou tendresse s’y invitait. Contrairement à ce que pensaient les bonnes gens de Breda, les habitués des filles des Trois Fers à cheval éprouvaient plus de respect pour elles que pour de nombreuses demoiselles de bonne famille qu’ils épousaient sans amour.
    Niklaus n’avait pas à rougir de son choix. Il était persuadé que, peu à peu, bercée par cette ambiance et par sa maternité toute proche à présent, Mary finirait par oublier son trésor et trouver la paix. Non que l’idée d’aventures auprès d’elle lui déplaise, mais il n’avait aucune envie de la partager, et certainement pas avec ce Corneille dont elle lui avait tant parlé.
    Qu’il soit ou non encore de ce monde n’y changeait rien. Les souvenirs sont parfois les rivaux les plus tenaces. Et Niklaus Olgersen était prêt à tout pour garder Mary Read à ses côtés. A tout, y compris à braver la terre entière. Y compris à l’aliéner.
     

31
     
     
    C e soir du 20 septembre 1697, la paix de Ryswick venait d’être signée, mettant fin à la guerre de la ligue d’Augsbourg. La France n’en sortait pas victorieuse et dut faire de nombreuses concessions : elle restitua le duché de Lorraine, la rive gauche du Rhin, Brisach et Fribourg, ne conservant que Strasbourg. Elle rendit à l’Espagne ses villes flamandes, acquit la partie occidentale de Saint-Domingue et, malgré son attachement à Jacques II, fut contrainte de reconnaître Guillaume d’Orange comme roi d’Angleterre. En quelques heures, la grande salle du rez-de-chaussée des Trois Fers à cheval s’était noircie de soldats levant leur verre à la santé du grand stathouder de Hollande.
    Les filles allaient et venaient, chargeant et déchargeant leurs plateaux selon que les chopes étaient vides ou pleines, acceptant en riant qu’on les enlace, qu’on leur embrasse le décolleté plongeant sous la dentelle de leurs bustiers lacés, ou qu’on leur claque les fesses. Certaines savaient d’une pirouette, leur plateau à bout de bras, s’échapper d’une étreinte en riant et en plaisantant.
    Les musiciens jouaient sans discontinuer dans un halo de fumée. Les odeurs de tabac et de graisse brûlée en provenance des cuisines se mélangeaient, refoulées sur les tables par l’odeur des pommes de terre au lard qu’on y servait, nappées d’une onctueuse crème fraîche.
    Mary, le ventre en avant, avait trinqué avec les soldats avant de se retirer, écœurée par ces odeurs de vinasse, de mangeaille et de tabac.
    Elle monta l’escalier, abîmée par sa grossesse qui lui avait fait prendre vingt kilos, se demandant si cet enfer cesserait un jour. Elle n’en pouvait plus. Sur le palier, elle tourna la tête. Contrairement à ce qu’elle avait pensé, le regard inquiet de Niklaus l’avait accompagnée. Elle lui sourit et s’enferma dans leur chambre pour s’endormir aussitôt, incapable de se déshabiller.
     
    Elle redescendit à l’aube, migraineuse, le

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