Les valets du roi
et les futures encore. La France revendique des droits territoriaux ? L’Empire, la Suède et plusieurs princes allemands se montent en coalition. Tandis que Guillaume d’Orange le félon tremble de l’alliance de la France et de son prédécesseur. L’Espagne se rallie à la coalition ? La France lui déclare la guerre, offrant ainsi un prétexte à l’Angleterre pour régler ses comptes. Nous sommes dans ce conflit uniquement pour empêcher le retour de Jacques II, Mary Oliver. Non parce qu’il est catholique et son successeur protestant, mais parce qu’un royaume est enjeu. Avec ce qu’il représente de pouvoir, de privilèges et de biens.
— Alors pourquoi ne ralliez-vous pas la cause du roi Guillaume ? s’étonna Mary.
— Pourquoi ? Parce que mon intérêt ne s’y trouve pas, voilà tout. Je n’ai aucune aptitude à devenir reine d’Angleterre, alors je mets mon talent au service non pas du bien ou du juste, mais du profit.
— Comment ? demanda Mary, de plus en plus intriguée par cette femme si jeune et cependant si prompte à décider de sa destinée.
Emma de Mortefontaine posa un doigt sur ses lèvres fines puis se leva.
— Secret, mon cher. Je vous le révélerai peut-être. Lorsque vous m’ouvrirez aux vôtres… Pour l’heure, il est temps de dormir, à défaut d’aimer.
Elle s’écarta de la table et, négligeant le bras qu’Amanda lui proposait, tituba légèrement jusqu’à l’escalier. Emma de Mortefontaine l’avait prédit tantôt : échauffée par l’alcool, elle avait l’âme embrumée. L’esprit, lui, demeurait clair et concis, assez pour se souvenir de son argument et guider Mary Oliver sur les chemins qu’elle lui avait tracés.
Une semaine plus tard, Emma de Mortefontaine fit à Mary la surprise d’un habit de cérémonie fort seyant qu’elle lui avait fait couper chez le meilleur tailleur de la ville.
— Ce soir, vous m’accompagnerez au théâtre, mon ami ! On y joue Titus Andronicus.
Mary sentit remonter en elle un reste de méfiance.
— J’en serais heureux, mais ne serait-ce pas déplacé que de m’afficher ainsi à vos côtés ?
— Et pourquoi donc ? s’en amusa Emma. Nul ne vous connaît. Je vous présenterai comme je l’ai toujours fait. Allez, c’est un ordre.
Mary ne put qu’obtempérer.
Elle récupéra l’habit d’une main leste et s’élança dans l’escalier pour se changer. En s’habillant, Mary songea que Cecily avait toujours aimé aller au théâtre. Elle retrouva sa légèreté. A travers elle, c’était un peu de sa mère qui s’émerveillerait Si le service d’Emma était un bon dérivatif à son chagrin, elle ne pouvait s’empêcher de songer souvent à Cecily ; la peur de Tobias revenait alors, violente et irraisonnée. Sa haine en était désormais changée. Elle la chassait aussitôt, ne gardant que le rire et les caresses de sa mère en mémoire, pour pallier le manque d’elle. Elle aurait tant aimé lui faire partager cette vie que la chance enfin lui offrait.
La soirée fut délicieuse. Emma dialogua longuement avec un certain colonel Titus, auprès duquel elle déploya tout son charme. Mary se promit de lui en demander la raison, par simple curiosité, car elle doutait fort qu’Emma l’ajoute à la liste de ses galants. L’homme était d’une répugnante laideur.
La pièce fut un succès et l’émut plus qu’elle ne l’aurait cru, au point qu’elle fut une des premières à applaudir à tout rompre. Le buffet, servi sous des lampions, accueillit toute la noblesse, lui livrant dans sa splendeur indécente l’apparat d’une caste à laquelle Mary se sentait étrangère. Même si donner l’illusion lui apparut étonnamment facile.
Sur le chemin du retour, Emma lui apprit que le colonel Titus était un des espions du roi Jacques II en France. Elle avait des raisons de penser qu’il jouait double jeu et mourait d’envie de le vérifier.
— Pourquoi ? demanda Mary. N’est-ce pas dangereux ?
Emma se moqua une fois encore.
— Qu’y a-t-il, mon cher, de plus excitant en ce monde que l’interdit et le danger ?
Mary eut envie de répondre « l’amour » tel que Cecily le concevait, mais elle s’abstint de donner à Emma de Mortefontaine un argument pour la troubler.
George, le gardien qui faisait office de cocher comme de jardinier, les déposa devant les marches du perron pour aller garer la voiture et ramener les chevaux à l’écurie. Emma, qui commentait
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