Les valets du roi
cabinet.
— Je ne crois pas que quoi que ce soit ait disparu de cette demeure, annonça Emma sans préambule.
— Ah non ? fit Mary, faussement surprise.
— Non.
Emma pressa délicatement un doigt sur sa tempe, puis, s’agaçant de son impeccable chignon, en ôta les épingles, laissant une tresse châtain se dérouler en souplesse. Elle la ramena sur sa poitrine.
— Asseyez-vous, mon cher. Je vous avais promis de vous révéler mon secret. L’heure est venue. Anticipée par les événements, il est vrai. Ce colonel Titus dont nous parlions tantôt en voiture m’est bien plus familier qu’il n’y paraît. C’est lui qui me présenta à lord Melfort, Premier ministre du roi Jacques, au château vieux de Saint-Germain-en-Laye, en France.
— Voulez-vous dire, madame, que vous êtes vous aussi une espionne ? demanda Mary.
Le visage d’Emma s’éclaira de malice, tandis qu’elle hochait la tête.
— Vous connaissez notre voleur ?
— Pas directement. Mais j’ai depuis quelques jours le sentiment que l’on me surveille. Cette visite vient confirmer cette impression. Titus a trahi le roi Jacques et je risque d’être également soupçonnée.
— Vous êtes donc en danger, s’inquiéta Mary, autant pour elle que pour sa maîtresse.
Emma éclata d’un rire léger.
— Non, rassurez-vous. Pour accuser il faut des preuves et je suis certaine que notre voleur ne les a pas découvertes. Il ne vivra de toute façon pas assez pour faire son rapport. George saura le retrouver.
— Qui est George en réalité ?
— Mon homme de main, un ancien mercenaire. Discret le jour, actif la nuit aux sales besognes qu’implique, hélas, mon métier.
— N’éprouvez-vous pas de remords à tuer ? s’étonna Mary, de plus en plus fascinée.
— Du remords ? Grand Dieu non, s’amusa Emma. Je vous l’ai dit, Mary Oliver, dans ce monde il n’y a pas de place pour la pitié ou la condescendance. Je vais à mon but et seule l’idée de l’atteindre me fait vibrer.
— Qu’allez-vous faire à présent que vous voilà démasquée ?
— Rien. Ou du moins continuer comme si de rien n’était. C’est le meilleur moyen de contrer les accusations dont je pourrais faire l’objet.
— Mais vous allez cesser vos activités ?
Emma haussa les épaules.
— Sans doute, oui. Mais c’est sans importance, j’en trouverai d’autres tout aussi fascinantes et lucratives. Elles ne manquent pas. Il suffît de chercher.
Elle se leva et décrocha une nature morte qui se fondait tant au décor qu’on la voyait à peine. Elle ramassa un stylet dans une coupelle d’onyx, posée sur une console, et vérifia le double fond du tableau.
Plusieurs feuillets apparurent.
— Qu’est-ce ?
— Les preuves dont nous parlions tantôt. Les prochains ordres de bataille maritime de ces lords ennuyeux, gloussa-t-elle. M. de Pontchartrain, ministre du roi Louis le quatorzième, en sera fort aise pour diriger ses corsaires dans la Manche. Ce sera mon cadeau d’adieu. Dans quelques jours, vous posterez un nouveau billet, le dernier, à l’attention du sieur de Roan, chargé de le transmettre à la cour, achevant là ma carrière.
Emma raccrocha le tableau et revint vers Mary, souple et féline. Elle contourna le sofa et, d’un mouvement rapide, glissa la lame du stylet sous la gorge de Mary. Curieusement, celle-ci ne s’en effraya pas, troublée bien plus sûrement par le parfum suave, et le timbre rauque de la voix d’Emma :
— Et maintenant, Mary Oliver, chuchota-t-elle en laissant sa main s’aventurer dans l’échancrure du gilet de Mary, si toi aussi tu me laissais partager ton secret ?
Avant que Mary pût s’en défendre, le stylet avait tranché les lacets de sa chemise, révélant le bandage qui lui emprisonnait les seins.
— Enlève-le, murmura Emma.
Vaincue, Mary se déshabilla.
— Depuis quand savez-vous ? osa-t-elle après avoir tout osé déjà entre ses bras initiateurs.
— Depuis le premier jour, s’amusa Emma en lui caressant les cheveux.
Leur étreinte les avait poussées sur le tapis chatoyant qui couvrait le parquet ciré. La pendule sonna trois heures du matin. Emma enchaîna :
— L’eau boueuse avait collé à ton buste la toile de ta chemise. Tu n’y as pas prêté attention, empêtrée dans tes excuses, moi si. Tu étais travestie, tu parlais français. De quoi aiguiser ma curiosité et bien plus encore !
Elle gloussa. Mary
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