Les valets du roi

empêcher de verser.
     

8
     
     
    D e retour d’Espagne où il n’avait, hélas, rien appris de plus sinon que cette histoire de trésor était bel et bien réelle, Tobias avait débarqué à Douvres, profitant d’un de ses navires qui, parti de Cadix, s’en revenait vers l’Angleterre. Il avait aussitôt décidé de rendre visite à Emma de Mortefontaine dont il était l’amant épisodique et l’associé.
    Leur relation était née du temps de M. de Mortefontaine. Ce dernier avait pour seul mérite aux yeux d’Emma sa fortune et cette passion qui avait su lui donner un nom, un rang et une généalogie digne de ses ambitions. Pour le reste, il était si fat et ennuyeux qu’Emma n’y avait pas résisté longtemps. Tobias Read, la rencontrant au cours d’une soirée mondaine, l’avait séduite. Ces deux-là étaient de même nature. Lorsque M. de Mortefontaine avait appris conjointement les activités d’espionne de sa femme et son cocufiage, il s’était tant emporté, jurant de révéler toute la vérité sur ses origines, qu’Emma avait décidé de le supprimer. Tobias Read l’y avait aidée, contre la promesse d’Emma de le charger d’administrer son affaire et d’en partager les bénéfices. Leur accord jusque-là avait été parfait.
    — J’aimerais comprendre, demanda Emma sèchement à Tobias après qu’il eut lancé l’Homme en noir sur les traces de Mary.
    Son hôtesse l’avait rejoint dans le vestibule. Tobias Read s’en trouva fort embarrassé.
    — Retournons au salon, voulez-vous, nous y serons plus tranquilles, imposa-t-il en lui prenant le bras, refusant de s’attarder à son œil furieux.
    « Mary Oliver est mon neveu, reprit Tobias en leur servant un verre de porto.
    Il tendit le sien à Emma, visiblement agacée par ce qui venait de se produire entre ces deux personnes si importantes dans sa vie.
    — Votre neveu ? Vraiment ? Quelle coïncidence ! s’étonna-t-elle, retrouvant sur-le-champ son calme et sa lucidité.
    Soit Tobias ignorait que Mary était une femme, soit il lui mentait. Dans les deux cas, son instinct lui conseillait d’en garder le secret.
    — Et quelle est cette méchante affaire qui vous oppose au point de le faire ainsi paniquer ? Je vous connais assez, Tobias, pour savoir votre cruauté, ajouta-t-elle.
    — Soit, ma chère, puisque nous sommes associés. Vous vous plaigniez tantôt de devoir renoncer à votre vie aventureuse. Je vous en offre une autre, bien plus excitante, si vous pouvez répondre à une seule de mes questions.
    — Laquelle ? demanda aussitôt Emma, alléchée par cette entrée en matière.
    — Je suis à la recherche d’un bijou monté en pendentif. Un cercle de jade incrusté d’un éclat de cristal. Mon neveu l’a volé et j’ignore où il l’a dissimulé.
    — A son cou. Mais ce bijou n’a aucune valeur, je m’en suis assurée, avoua Emma, tout à fait capable d’expertiser une pierre précieuse d’un seul coup d’œil. Et vous n’êtes pas de ceux qui s’attardent sur des futilités. Alors ?
    — Alors, répondit Tobias en se rapprochant d’elle, sans ce bijou anodin en apparence, je ne peux accéder au plus fabuleux trésor qui ait jamais été caché.
    Emma recula dans son fauteuil et ne put réprimer un sourire carnassier. Son secrétaire particulier était bien tel qu’elle l’avait imaginé. Aussi menteur et rusé qu’elle. Elle ne l’en aima que davantage.
    Au moment où Tobias s’apprêtait à poursuivre, ils furent interrompus par l’Homme en noir qui revenait bredouille de sa mission, un mouchoir plaqué sur son visage en sang. Sitôt qu’il eut donné son rapport, Emma sonna Amanda pour la charger de le soigner. Malgré la curiosité de la femme de chambre, l’Homme en noir demeura muet. Tout en pansant la plaie, Amanda se demanda pourquoi sa maîtresse s’embarrassait de ces gens, aussi impolis que désagréables de figure et d’aspect. Et estima que Mary Oliver mettait bien du temps à rentrer quand elle aurait voulu lui en parler.
     
    Emma et Tobias furent à nouveau seuls. Emma avait profité de cet intermède pour prendre la mesure de cette nouvelle donne.
    — Racontez-moi, demanda-t-elle à Tobias.
    Avant qu’il eût achevé son récit, une manigance avait germé dans son esprit diabolique. Elle cherchait depuis plusieurs jours tout à la fois le moyen de renforcer son influence à la cour et de se protéger des accusations de trahison qui tôt ou tard