Les valets du roi
et aux élans passionnés d’Emma, Mary n’aurait pas parié un penny sur leur sincérité. Emma de Mortefontaine affectionnait bien trop les jeux amoureux et la liberté pour s’aliéner à aimer.
À l’inverse, la sincérité de Forbin la touchait. Il ne lui cacha pas son peu de fortune. Il était de noble naissance, mais en dehors d’une demeure à Saint-Marcel, près de Toulon, il ne possédait plus rien. Les siens avaient été déchus, dépossédés de leurs biens. Ce nom que la cour avait oublié, Forbin l’avait redoré par ses exploits maritimes, dès l’âge de douze ans où il s’embarqua sur une galère. Sous le commandement du vice-amiral d’Estrées, il avait fait campagne le long des côtes des Indes occidentales, puis devant Alger aux ordres de Duquesne.
Mais ce n’était pas suffisant pour sa gloire. Il s’était mis en avant, forçant l’étonnement du roi, qui l’avait envoyé au Siam. Louis le quatorzième y dépêchait une ambassade chargée d’approfondir les liens d’amitié qu’il entretenait avec son roi. Forbin, vif et imaginatif, plut tant à ce dernier qu’il se vit nommé grand amiral et rebaptisé Opra Sac Dison Gram.
— J’étais impétueux et orgueilleux, se souvint Forbin. A mon retour du Siam, j’avais pour ma propre personne une telle admiration que je décidai de me faire corsaire sitôt arrivé en France. Je voulais gagner sur les mers l’estime de tous, montrer mes exploits comme un jeune coq plutôt que de les faire raconter par quelque ambassade. Jean Bart venait d’être promu capitaine de frégate par M. de Seignelay et je lui fus assigné.
— Vous êtes-vous entendus ? demanda Mary, ravie de découvrir avec quelle implacable lucidité Forbin parlait de lui-même.
— Au début, oui, malgré une évidente différence de tempérament Bart était aussi réservé et prudent que j’étais aventuré, aussi discret que j’étais fort en gueule. Aussi breton que j’étais méditerranéen. Nos différences se complétaient pourtant. Jusqu’à ce fameux jour où nous eûmes à trancher sur l’attitude à adopter vis-à-vis d’un convoi marchand que nous devions protéger. Bart assurait qu’il fallait longer l’île de Wight, j’affirmai le contraire, certain que des corsaires y croisaient. Il avait de l’expérience et moi de l’instinct. Il me rit au nez et nous fûmes pris à peu de distance de l’endroit où je l’avais imaginé. Capturés, on nous jeta en prison.
— Vous auriez dû y croupir, s’étonna Mary. Pourquoi vous a-t-on libérés ?
— Libérés ? s’amusa Forbin. Il ne fallait pas l’envisager. Nous nous sommes évadés grâce à la complicité d’un parent de Jean Bart qui nous a fourni une lime pour scier nos barreaux.
— Charmante attention, nota Mary en se coulant comme une jeune chatte contre lui.
Elle adorait vraiment ces moments de connivence après l’amour. Forbin l’embrassa tendrement sur le front, puis enchaîna, ravi de l’intérêt qu’elle prenait à ses histoires :
— Ce ne fut pas si simple. Bart jugeait l’entreprise inconsidérée, partisan, quant à lui, d’attendre que la rançon demandée pour notre libération soit versée par le roi. Si j’avais toute confiance en Sa Majesté, j’en avais beaucoup moins en nos geôliers qui avaient plus d’intérêt à nous voir disparaître que l’inverse. Nous nous sommes disputés et je l’ai menacé de le laisser s’expliquer de ma disparition avec nos gardes. Il n’a plus eu le choix.
— -J’imagine qu’il devait être furieux.
— Assez, oui, s’amusa Forbin. D’autant que, blessé à l’épaule, je ne pus l’aider et qu’il lui a fallu ramer depuis Plymouth jusqu’à Dunkerque dans une barque que nous avions récupérée.
Mary pouffa.
— Je comprends mieux le pourquoi de votre rivalité.
— Tu n’imagines pas à quel point, se durcit Forbin. Il était fâché contre moi, mais sut tirer parti de ma nature orgueilleuse. Il savait que l’honneur était pour moi au-dessus de toutes les autres vertus et que j’aurais préféré mourir plutôt que mendier. J’espérais, quant à moi, que devant le roi et son ministre Bart aurait l’honnêteté de reconnaître son erreur de tactique et louerait mon audace qui avait préservé le trésor royal. Il n’en fit rien, accusa la mauvaise chance et prit à son initiative l’évasion qui en avait résulté.
— Et tu n’as rien dit ? s’exclama Mary,
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