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Les valets du roi

Les valets du roi

Titel: Les valets du roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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tristesse de ces larmes de brume, tu oublieras l’Angleterre.
    Mary le laissa parler, chanter sa Méditerranée en se disant qu’elle lui allait bien. Merveilleusement bien. Mais qu’il n’y aurait jamais de place pour elle à ses côtés. Elle se rapprocha de la cheminée. Forbin brûlait déjà sous le soleil de ses souvenirs, avide de les retrouver. Elle se sentait glacée. Elle n’avait pas attendu de savoir la nomination de Forbin pour prendre sa décision. Elle l’avait mûrie toute la journée.
    Forbin la rejoignit, avec l’envie d’elle jusqu’au bout des doigts. Il l’attira contre lui, se moulant à son dos pour enlacer sa taille et remonter à sa poitrine. Mary sentit son bas-ventre s’enflammer. Les battements de son cœur s’affolèrent et cette boule d’angoisse et de désir mêlés lui gêna le gosier. Elle les sortit, pourtant, ces mots qui l’endeuillaient :
    — Je pars, capitaine. Demain.
    Forbin mit quelques secondes à comprendre. Ses mains cessèrent leur ballet. Il y eut un silence qu’elle s’empressa de combler.
    — Je ne suis rien, Claude de Forbin. Rien de légitime aux yeux du monde. Épouse-moi et je le deviendrai. Épouse-moi, répéta-t-elle, et j’aurai une raison de rester.
    — C’est impossible, répondit Forbin d’une voix blanche. Et cependant je t’aime, Mary, comme je n’ai jamais aimé.
    — Alors quoi ? Tu ne serais pas le premier à épouser une roturière. Rien ne changerait. Mon bras accompagnerait le tien dans la course, nos yeux se perdraient dans les mêmes étoiles…
    — Arrête, Mary. Crois-tu que je n’y aie pas songé ?
    Il s’écarta d’elle et passa une main lasse dans ses épais cheveux bruns. Mary lui fit face.
    — Je te l’ai dit, Mary. J’ai épousé la marine. Pas seulement par ambition, mais pour répondre au souhait de mon père qui rêvait de voir notre nom retrouver sa dignité et son honneur perdus. Je ne démissionnerai jamais, au profit de quoi d’ailleurs ?
    Il ricana.
    — Je n’ai pas assez de fortune pour croiser à mes frais et ne sais rien faire d’autre que ce métier. Que dis-je, ce sacerdoce presque, tant il me tient l’âme. Je pourrais épouser une femme que j’abandonnerais au port des mois durant et qui m’attendrait en élevant nos enfants et en vaquant aux tâches ménagères. Mais tu n’es pas faite pour cela, Mary. Je le sais. Tu le sais. Je l’ai vu sur La Perle. Je pourrais épouser une femme, Mary, pas un matelot qui se battrait à mes côtés. Jamais mon ministre ne le tolérerait.
    — Pourquoi ? s’indigna Mary.
    — Parce qu’il n’y a pas de femme sur un navire, parce que les marins sont superstitieux, qu’ils pensent que cela porte malheur et parce que, même sans superstition, c’est fondamentalement vrai. Nous passons des mois entiers en mer, dans des conditions difficiles ; le seul réconfort des matelots, tu l’as vu, ce sont les jeux, l’alcool et les femmes. Les leurs, mais aussi celles qu’ils trouvent au cours des escales. Que crois-tu qu’il se passerait, Mary, s’ils apprenaient ta vraie nature ?
    — J’ai prouvé ma valeur. Ils me respecteraient. D’autant plus si je suis ton épouse, ajouta-t-elle.
    — Tu ne seras pas mon épouse sur un navire de l’armée, s’emporta Forbin. Jamais. C’est contraire au règlement, c’est contraire aux lois, c’est contraire à la bonne marche du navire. C’est contraire au bon sens.
    — Et ? demanda encore Mary, qui comprenait bien qu’au-delà de ces beaux discours se cachait une autre vérité.
    — Et je ne pourrais accepter de te perdre au sanglant d’une bataille et de porter ton deuil devant l’équipage entier, lâcha-t-il enfin, le cœur écartelé.
    — Alors tu vas me perdre vraiment parce que, ce nom que tu refuses de me donner et d’inscrire au pavillon de ton déshonneur, il va me falloir le gagner. Je ne me contenterai pas de médiocrité, je ne me contenterai pas d’être un matelot parmi tant d’autres. Je veux la fortune, Forbin. Ou un nom qui puisse me l’assurer lorsque je n’aurai plus rien, lorsque mes mensonges auront pris de l’âge et que les tiens se seront ridés. Je ne veux pas rester une maîtresse de l’ombre que ton vit engrosserait. Je ne veux pas d’un bâtard comme moi je l’ai été, acheva-t-elle dans un souffle en posant sa main sur son ventre.
    Forbin s’y attarda et demanda, livide :
    — Tu es enceinte ?
    Mary ricana.
    — Non. Mais tôt ou tard,

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