Les valets du roi
qu’une phrase pour le convaincre d’écourter sa grasse matinée.
— Nous l’avons trouvé.
— Attends-moi en cuisine, ordonna Tobias, la bouche empâtée encore. Fais servir le déjeuner, ajouta-t-il à la domestique, rassurée de ne pas être punie de sa désobéissance, laquelle avait été contrainte et brusquée par l’Homme en noir.
Tobias referma la porte.
— Qu’est-ce ? demanda Emma, qui s’étirait, féline.
— De bonnes nouvelles, ma mie.
Il s’approcha du lit, la trouva aussi belle au réveil que parée, et l’embrassa légèrement avant d’ordonner :
— Habillez-vous et rejoignez-moi. L’Homme en noir nous attend et il me faut encore vous raconter.
Emma ne se fit pas prier.
Deux heures plus tard, ils quittaient leur logis, leur voiture escortée par la silhouette sombre du valet chevauchant son destrier. La rumeur du trésor avait atteint son objectif. Un des descendants de Jean Fleury, maréchal-ferrant à Versailles, avait laissé entendre qu’il avait déjà vu l’œil de jade dont on parlait. L’Homme en noir était resté à le surveiller, déléguant son complice pour les prévenir.
Corneille, qui ne cessait de guetter devant l’hôtel particulier des Read depuis sa discussion avec Mary à propos du trésor, réagit promptement en voyant leur équipage s’ébranler. Il s’en fut alors à leur propre logis, retrouver Mary qui somnolait encore, éreintée depuis deux jours par une migraine persistante. Il la réveilla tendrement, puis lui expliqua ce qui venait de se passer. L’arrivée d’Emma la veille, puis la visite de l’Homme en noir et leur départ précipité à tous trois.
— Ils ont pris la direction de Versailles, acheva-t-il.
Mary se leva d’un bond, décidée à ne pas les lâcher. Sa migraine s’était envolée. Elle défit son vêtement de nuit sous l’œil ravi de Corneille que le simple éclat de sa peau mettait en émoi, refusant de s’attarder à ce désir qu’il lui communiquait. Puis, ouvrant une malle, elle en sortit ses vêtements d’homme délaissés depuis trop longtemps. Elle s’habilla, se farda de blanc de manière à estomper ses traits, tandis que Corneille faisait seller leurs chevaux.
Moins d’une demi-heure après le départ des Read, Mary et Corneille talonnaient leurs montures pour les rattraper.
La route ralliant Saint-Germain à Versailles était une large voie poussiéreuse, cernée de forêts épaisses de chênes et de châtaigniers. Malgré l’heure matinale, elle était encombrée de carrosses. Quelques marchands s’y perdaient, mais c’était surtout la noblesse qui l’utilisait. Corneille et Mary croisaient les voitures sans ralentir leur allure, vérifiant les armoiries dessinées sur leurs portes.
— Là, désigna Corneille en tendant un doigt vers un carrosse qui roulait à vive allure.
— Allons ! décida Mary.
Comprenant que Corneille ne s’était pas trompé sur la destination des Read, ils rabaissèrent leur tricorne sur leur front et, rasant la voiture aux rideaux relevés, partirent au galop pour les y devancer.
A Versailles, à peine mis pied à terre, Corneille se chargea de négocier deux livrées de laquais qu’il loua à un bougre finissant son service. L’homme ne fut pas long à hésiter. Si on le questionnait ou le soupçonnait à propos d’un mauvais coup, il prétendrait qu’on l’avait volé. Il empocha la somme, et fut assuré en retour que ses habits lui seraient remis et lui nullement inquiété.
Mary et Corneille se postèrent dans le parc réservé aux cantonnements des carrosses et des chevaux, où ils avaient abandonné les leurs en arrivant. Les visiteurs n’avaient pas le droit d’amener leurs montures au-delà de la grille de fer forgé défendant l’accès au palais.
Simple pavillon de chasse jusqu’en 1661, le château, agrandi sur les ordres du roi Louis XIV, était désormais appelé par tous le « palais du soleil ». Les travaux pourtant s’y poursuivaient et l’on voyait partout courir maintes corporations d’ouvriers. Désireux d’atteindre au sublime, le roi avait fait de cet endroit fastueusement unique en son genre sa nouvelle résidence, imposant à ses courtisans une étiquette calquée sur ses hautaines prétentions. La cour s’y pressait et, pour mieux la garder à ses côtés, Louis XIV avait offert des terrains à qui voulait construire des hôtels particuliers aux alentours du palais. En quelques années, la
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