Les voyages interdits
une situation que nous serions amenés à renouveler
assez souvent par la suite, quand nous arriverions dans des régions moins
peuplées, aussi mon père et mon oncle estimèrent-ils qu’il était bon que
j’expérimente ce mode de campement tant que le terrain était propice et le
temps clément. Il faut l’avouer aussi, nous commencions tous trois à être
lassés de la crasse et du sempiternel mouton rôti. Ces deux soirs, nous pliâmes
nos couvertures pour en faire des lits et utilisâmes nos selles comme
oreillers, nous cuisinâmes au feu de bois, en laissant nos montures paître
librement, ayant juste pris soin au préalable d’entraver leurs antérieurs afin
qu’elles ne s’aventurent pas trop loin.
J’avais déjà acquis de mes chevronnés aventuriers de
père et d’oncle différentes « ficelles » du voyageur. Ils m’avaient,
par exemple, bien recommandé de transporter séparément, dans deux paniers de
selle distincts, mes affaires de couchage et mes vêtements de jour. Tout
itinérant étant contraint, dans chaque caravansérail, de faire usage de ses
propres couvertures, celles-ci finissent immanquablement par être infestées de
puces, de poux et de punaises. Aussi, chaque matin, en sortant du lit, je me
mettais nu et me débarrassais des bestioles avant d’enfiler mes vêtements
soigneusement préservés de cette infection. Neufs ou usés, ils restaient sains.
Lorsque nous campâmes seuls, j’appris d’autres astuces. Je me souviens
notamment que la première nuit où nous étions ainsi au bivouac, je m’étais mis
à emboucher l’une de nos gourdes de cuir pour y boire longuement, lorsque mon
père m’arrêta.
— Pourquoi ? lui demandai-je. Nous avons
près de nous l’une des quatre rivières bénies de l’Eden, il nous sera facile de
l’y remplir...
— Mieux vaut t’habituer à la soif tant que tu as
de l’eau autour de toi. Quand tu la ressentiras, il te faudra l’endurer.
Attends un peu, je vais te montrer quelque chose.
Coupant à l’aide de son couteau quelques branches
épineuses d’un jujubier voisin réputées brûler d’une flamme vive et chaude, il
composa un feu de branchages qu’il laissa se consumer jusqu’à en obtenir des
morceaux de charbon de bois pas encore réduits en cendres. Il en mit de côté
une bonne partie et déposa sur les braises restantes d’autres branches afin de
relancer le feu. Il laissa refroidir les fragments prélevés, puis les réduisit
en poudre, les enveloppa dans un linge qu’il disposa comme un tamis sur
l’ouverture d’une des jattes en terre cuite que nous transportions. Il me
tendit une autre jatte et m’envoya la remplir de l’eau de la rivière.
— Goûte cette eau, me demanda-t-il ensuite.
L’ayant fait, je rendis mon verdict :
— Boueuse. Elle contient quelques insectes mais
n’est pas mauvaise.
— Regarde. Je vais la rendre meilleure.
Il la versa tout doucement à travers le filtre de
charbon de bois posé sur la seconde jatte. Quand il eut achevé son lent
transvasement, je goûtai l’eau recueillie au fond de la jatte.
— Ah... Elle est pure et agréable au goût, elle
semble même plus fraîche.
— Retiens bien cette pratique, recommanda-t-il.
Il t’arrivera souvent de trouver l’eau de ta source putride ou susceptible
d’avoir été empoisonnée. Ce procédé la rendra pour le moins potable et
inoffensive, si ce n’est délicieuse. En revanche, dans le désert, là où l’eau
est le plus souvent souillée, il n’y a pas de bois pour confectionner le
charbon dont tu auras besoin. Aie donc soin d’en transporter toujours une
petite quantité avec toi. Il pourra être réutilisé plusieurs fois avant que,
saturé, il ne devienne inopérant.
Nous ne campâmes pas plus de deux fois seuls sur les
bords de l’Euphrate, parce que si mon père était capable de purifier l’eau de
ses scories, il n’était pas en mesure d’empêcher les oiseaux de voler. Or, je
l’ai signalé, les aigles dorés abondaient en cette région.
Le jour auquel je fais référence, mon oncle était
tombé par hasard, dans l’herbe, sur un gros lièvre qui, surpris, était resté
tapi devant lui, paralysé et tremblant. Sautant sur sa proie sans perdre une
seconde, son couteau sorti, mon oncle avait tué l’animal. Etant pour une fois
pourvus en viande susceptible de nous changer du mouton habituel, nous avions
décidé de camper seuls. Mais lorsque mon oncle eut mis en broche le lièvre
dépecé sur
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