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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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scintillant d’un bleu pâle mêlé de
pourpre, le cadavre d’un nouveau-né abandonné aux flots. Venise est l’une des
trois cités les plus peuplées d’Europe, la moitié de ses habitants sont des
femmes, et une sur deux est en âge de procréer. Or le niveau annuel de
« pêches » de nourrissons ainsi mis au rebut tendrait à indiquer que
les Vénitiennes « bien » ne sont pas légion.
    — Il y aurait bien la sœur de Daniele, Margarita,
dit Ubaldo, qui n’était pas là en train de recenser les filles bien, mais
plutôt de parler du contraire.
    Il tentait de dénombrer les femelles de notre
connaissance susceptibles de me faire connaître ce contre quoi les prêtres
m’avaient mis en garde, afin de parfaire mon éducation virile.
    — Elle ferait ça avec n’importe qui, pourvu qu’on
lui refile un bagatìn [6] .
    — Margarita est une grosse truie, affirma Doris.
    — C’est une grosse truie, en effet, confirmai-je.
    — Qui êtes-vous donc, pour oser vous moquer ainsi
des cochons ? répliqua Ubaldo. Ils ont un saint patron, figurez-vous.
Saint Antoine adorait les cochons !
    — Il n’aurait pas aimé Margarita, je peux te
l’assurer, maintint fermement Doris.
    Ubaldo revint à la charge :
    — Remarquez, j’y pense, il y aurait bien la mère
de Daniele. Elle le ferait et ne demanderait même rien en échange, je parie.
    Doris et moi fîmes chorus, exprimant par des bruits
divers toute la répulsion que nous inspirait cette idée. Puis elle dit :
    — Il y a quelqu’un, en bas, qui nous fait signe.
    Nous étions tous trois en train de paresser, cet
après-midi-là, sur le toit d’une maison. C’est en effet l’une des occupations
favorites des basses classes. La plupart des demeures vénitiennes n’ayant qu’un
seul étage, toutes sont dotées d’un toit plat, et leurs occupants aiment venir
y flâner et s’y prélasser tout en jouissant de la vue. De cette situation
avantageuse, ils peuvent apercevoir les rues et les canaux au-dessous, la
lagune et ses bateaux un peu plus loin, et les plus élégants édifices de Venise
dominant le reste : dômes et flèches des églises, clochers ou façades
sculptées des palais.
    — C’est à moi qu’il fait signe, dis-je. C’est
notre gondolier, qui revient de je ne sais où avec notre bateau. Je pourrais
rentrer avec lui, en effet.
    Il n’y avait aucune nécessité particulière pour moi de
rentrer à la maison avant que le carillon du soir ait sonné le couvre-feu
nocturne, ou coprifuoco, heure à laquelle les honnêtes citoyens qui ne
sont pas rentrés chez eux sont censés se promener avec des lanternes prouvant
qu’ils arpentent les rues pour des motifs avouables. Mais, à dire vrai, j’étais
en cet instant angoissé à l’idée qu’Ubaldo insistât pour m’accoupler
immédiatement à je ne sais quelle femme ou fille des bateaux. Non que cette
aventure m’inspirât tant de craintes, même s’il s’agissait d’une souillon comme
la mère de Daniele ; ce qui me gênait, c’était en fait davantage l’idée de
me trouver ridicule, ne sachant au juste que faire avec elle.
    De temps à autre, je m’efforçais de compenser mon
attitude en général plutôt rude avec ce pauvre vieux Michel, aussi ce jour-là
pris-je moi-même les rames pour rentrer chez nous, tandis qu’il prenait ses
aises sous le dais de l’embarcation. Nous échangeâmes quelques phrases pendant
le trajet, et il me déclara entre autres qu’il allait se faire bouillir un
oignon dès qu’il arriverait.
    — Pardon ? fis-je, incertain d’avoir bien
entendu.
    L’esclave noir m’expliqua qu’il souffrait de la plaie
des conducteurs de gondoles. Comme sa profession nécessitait de passer la
majeure partie de son temps assis sur le banc à la fois dur et humide de
l’embarcation, il était souvent victime de saignements hémorroïdaires.
    — Notre médecin de famille, précisa-t-il, a
prescrit un traitement en douceur fort simple pour cette maladie. Vous faites
bouillir un oignon jusqu’à ce qu’il soit tendre, vous vous en bouchez l’orifice
en l’enfonçant bien là-dedans et vous fixez le tout d’une pièce de tissu serrée
autour des reins. Vraiment, c’est très efficace. Si jamais vous étiez un jour
atteint de ce mal vous aussi, messire Marco, essayez !
    Je lui dis que je le ferais, bien entendu, et
l’oubliai aussitôt. Lorsque j’accostai, je fus accueilli par tante Julia.
    — Le bon frère Evariste est venu

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