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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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quatre prunelles
presque aussi exorbitées et lumineuses que l’avait été l’oignon. Je me
félicitai d’être le premier à reprendre contenance. Je souris doucement à ma
nounou et lui adressai non pas les mots d’excuse que j’étais venu lui exprimer,
mais ceux d’un fieffé coquin qui profitait outrageusement de la situation. Avec
une perfide assurance et un air suffisant, je me contentai de lui articuler
nettement ces mots :
    — Je n’irai pas à l’école demain, tante
Julia.
    Et je sortis de la chambre en refermant la porte.

 
4
    Sachant ce que j’allais vraiment faire le
lendemain, je ne tenais plus en place et ne pus dormir convenablement. Levé et
habillé avant que le premier serviteur s’éveille, je rompis mon jeûne d’un
petit pain au lait et d’une gorgée de vin pris à la va-vite dans la cuisine,
sur le chemin de la sortie, et me fondis dans le petit matin nacré. Je courus
le long d’allées presque désertes et sur les nombreux ponts menant au marécage
situé côté nord, où quelques enfants encore tout ensommeillés émergeaient de
leurs barges. Etant donné la raison de ma venue, j’aurais a priori dû
chercher Daniele, mais c’est néanmoins vers Ubaldo que je me dirigeai pour
présenter ma requête.
    — À cette heure-ci ? dit-il, à moitié
scandalisé. Je pense que cette grosse truie de Margarita dort encore, mais je
vais aller voir.
    Il se baissa pour rentrer dans l’embarcation, et
Doris, qui nous avait écoutés par-derrière, me dit :
    — Je ne crois pas que tu devrais, Marco.
    J’étais habitué à la voir mettre son grain de sel sur
tout ce que l’on pouvait faire et dire, et je n’appréciais pas toujours
forcément la manœuvre, mais je lui demandai quand même :
    — Pourquoi ne devrais-je pas ?
    — Parce que je ne veux pas que tu le fasses.
    — Ce n’est pas une raison, ça.
    — Margarita est une grosse truie.
    Ne pouvant nier cette vérité, je m’en abstins, aussi
ajouta-t-elle :
    — Et puis, je suis plus belle que Margarita.
    Fort impoliment, je ris, mais ne poussai pas la
muflerie jusqu’à ajouter qu’entre une grosse truie et un chaton efflanqué, le
choix n’était pas difficile.
    Doris, morose, donna un coup de pied dans la boue et
débita tout d’une traite :
    — Margarita va le faire parce qu’elle se fiche
totalement de savoir avec quel garçon ou quel homme elle le fait, tandis que
moi, si je le faisais avec toi, je ne m’en ficherais pas.
    Je l’observai alors avec une surprise amusée et, pour
la première fois sans doute, je l’évaluai du regard de celui qui estime, qui
apprécie. Malgré la crasse qui recouvrait son visage, je perçus son prude rougissement
de jeune fille ainsi que sa gravité, et j’entrevis ce qui pouvait préfigurer
une future beauté véritable. Ses yeux, que rien ne souillait, étaient somme
toute d’un fort joli bleu et semblaient extraordinairement grands, bien que la
maigreur de ses traits, due à une longue abstinence forcée, eût sans doute
contribué à les accroître encore.
    — Tu seras un jour une très belle femme, Doris,
affirmai-je, soucieux de ne pas la blesser davantage. Pourvu que tu puisses te
laver -ou au moins te racler. Et si tu parviens à étoffer ta silhouette, qui
tient plus pour l’instant du manche à balai. Margarita est déjà, elle, aussi
ample que sa mère.
    Doris répliqua, acide :
    — Dis plutôt qu’elle ressemble à son père :
elle en a déjà la moustache !
    Une tête aux cheveux sales, négligés, et aux prunelles
chassieuses apparut à l’un des trous aux bords hérissés d’échardes qui
perçaient la coque de la barge, et Margarita appela :
    — Bon, eh, arrive avant que j’enfile mon
pantalon, comme ça j’aurai pas besoin de l’enlever !
    Je me retournai pour y aller quand Doris
s’exclama :
    — Marco !
    Mais, voyant qu’impatient je persistais à lui tourner
le dos, elle ajouta, amère :
    — Tant pis. Va jouer au cochon, allez...
    Je me hissai péniblement à l’intérieur de la coque
sombre et humide, rampant sur son pont de planches pourries jusqu’à ce que je
parvienne à l’espace cloisonné qu’occupait, sur un grabat de roseaux et de
chiffons, la plantureuse Margarita. Mes mains tâtonnantes la touchèrent avant
que je la voie, et son corps massif me parut aussi moite et visqueux que
l’était la membrure de la barge. Immédiatement, elle se récria :
    — Même pas en rêve, tant que je n’aurai pas

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