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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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leur fumée au brouillard ambiant.
    J’étais loin d’être le seul marcheur de la procession
à passer inaperçu. De fait, les gens étaient emmitouflés dans la laine de leurs
vêtements, et, perdu dans un brouillard presque aussi laineux, j’eus bien du
mal à repérer ma proie. Cette déambulation fut heureusement assez longue pour que,
me portant avec précaution aux côtés d’un marcheur après l’autre et scrutant
avec acuité le profil de leur visage qui dépassait des capuches, je finisse par
identifier le mari d’Ilaria, sur lequel je gardai désormais un œil vigilant.
    Une occasion survint lorsque, en débouchant d’une rue
étroite, le cortège arriva sur le quai pavé du nord de la ville. Quoique dans
l’épaisseur de la nuit et du brouillard il fut assez difficile de le
reconnaître, j’y parvins sans mal, car le bateau du doge abordait le Lagon mort,
près de l’endroit où résidaient mes amis des barges. Après avoir fait le tour
de la cité pour se retrouver devant nous, il attendait d’accoster. Il devait
convoyer le doge vers son ultime demeure, sur l’île des Morts, pour l’instant
invisible. Il y eut un remous dans le cortège lorsque les gens proches de la
litière voulurent à toute force aider les porteurs à hisser le défunt à bord du
navire. Cette bousculade me donna l’occasion de me mêler à eux. Je jouai des
coudes jusqu’à me placer à la hauteur de mon gibier, et, dans ce remue-ménage,
nul ne remarqua la lutte que je dus mener pour dégainer mon épée. Heureusement
pour moi, le mari d’Ilaria ne s’empressa pas de passer son épaule sous la
litière : son décès eût en effet entraîné la chute inéluctable du doge
dans l’eau du Lagon mort.
    Ce qui chut, en revanche, ce fut le lourd fourreau de
mon épée ; ma maladresse l’avait décroché de la ceinture de ma tunique. Il
émit, en heurtant les pavés, un lourd tintement métallique et continua ensuite
à manifester bruyamment sa présence, bousculé par les pieds innombrables qui
traînaient là. Mon cœur bondit dans ma poitrine, et je l’eus au bord des lèvres
lorsque je vis le mari d’Ilaria se pencher pour ramasser la gaine. Il ne poussa
cependant aucun cri pour rameuter qui que ce fût et se contenta de me la tendre
gentiment avec ce simple commentaire :
    — Tenez, jeune homme, vous avez laissé tomber
cela.
    J’étais juste à côté de lui, nous nous trouvions tous
deux chahutés par le mouvement de la foule alentour. Je tenais mon épée bien en
main, cachée sous mon manteau, c’était le moment idéal de le frapper, mais
comment l’aurais-je pu ? Il venait d’empêcher que je fusse découvert,
pouvais-je le trucider en remerciement de ce bienfait ?
    Une autre voix siffla alors à mon oreille :
« Espèce de crétin d’asenazzo !  » Il y eut comme un son
grinçant, et quelque chose de métallique brilla à la lueur de la torche. Tout
cela se produisit au bord de mon champ de vision, aussi mes impressions
furent-elles aussi fragmentaires que confuses. Il me sembla cependant que l’un
des prêtres qui avait jusque-là agité un encensoir avait soudain brandi à la
place un objet argenté. Au même instant, le mari d’Ilaria plongea vers l’avant
et cracha une substance qui, sous cette lumière, me parut noire. Bien que je ne
lui eusse rien fait moi-même, il venait d’être attaqué. Il tituba, heurta les
personnes groupées autour de nous et s’écroula, entraînant deux hommes au moins
dans sa chute. Une lourde main s’abattit alors sur mon épaule, mais, en me
démenant, je lui échappai et, dans un mouvement de recul, je parvins à
m’extraire du cœur du tumulte. Alors que je luttais pour franchir le cercle
situé en périphérie et que je bousculais bon nombre de badauds, mon fourreau
tomba de nouveau, suivi de l’épée elle-même. Je ne songeai pas à les
ramasser : saisi de panique, je ne pensais qu’à une chose, fuir loin et
vite. J’entendis jaillir juste derrière moi des exclamations stupéfaites et
indignées, mais j’eus tôt fait de m’échapper de tout cet amas de torches et de
chandelles et de me réfugier dans la bénédiction du brouillard nocturne.
    Je poursuivis ma course le long du quai jusqu’à ce que
deux nouvelles silhouettes surviennent devant moi, dans la nuit embrumée.
J’aurais pu me carapater, mais je reconnus des silhouettes d’enfants et eus tôt
fait d’identifier mes deux amis, Ubaldo et Doris Tagiabue. Quel soulagement

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