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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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fois aux
funérailles et à l’intronisation ? » Il est signé Marco Polo,
précisa-t-il, devant mon air définitivement abruti cette fois.
    Du pas titubant d’un somnambule, je redescendis les
escaliers, encadré de mes gardiens, et atteignis, après une nouvelle volée de
marches, l’endroit du Volcan appelé le Puits, enfoui au plus profond de la
bâtisse. Ce n’était pourtant pas, m’apprit-on, le véritable donjon de la
prison. Je pouvais en effet présager que, si j’étais dûment convaincu de
meurtre, je serais expédié aux Sombres Jardins, réservés aux prisonniers dans
l’attente de la peine capitale. Ponctuant leur propos d’un rire grossier, ils
ouvrirent une porte épaisse et néanmoins pas plus haute que le genou, me
poussèrent à terre, m’enfournèrent dans la cellule et rabattirent violemment la
porte derrière moi, dans un claquement qui résonna comme le glas du Jugement
dernier.
    La cellule avait au moins un avantage : elle
était plus grande que l’orbà, et la porte basse était percée d’un trou.
Celui-ci était trop étroit pour me permettre de serrer la main de mes geôliers
qui repartaient, mais il laissait au moins passer un souffle d’air et empêchait
l’obscurité totale de régner dans la pièce. Quand mes yeux se furent habitués à
la pénombre, je constatai que la cellule était équipée d’un seau muni d’un
couvercle qui servait de pot de chambre et de deux planches fixées au mur comme
des étagères en guise de lits. Je ne pus rien distinguer d’autre, hormis ce qui
me semblait être un amas de couvertures jetées en vrac dans un coin. Pourtant,
lorsque j’approchai, l’amas se souleva et se révéla être un homme.
    — Salââm aleikum, lança-t-il d’une voix enrouée.
    Le salut semblait étranger. Je le lorgnai du coin de
l’œil et reconnus alors la moisissure rousse teintée de gris des cheveux et de
la barbe. C’était le juif dont j’avais vu le châtiment public, en un jour
devenu mémorable pour une tout autre raison.

 
10
    — Mordecai, se présenta-t-il. Mordecai Cartafïlo.
    Et la question qu’il me posa fut la même que celle de
tous les prisonniers lors de leur première rencontre :
    — Pour quelle raison es-tu incarcéré ?
    — Meurtre, répondis-je dans un reniflement. Et
avec cela, trahison et lèse-majesté, je pense, plus d’autres méfaits encore,
probablement.
    — Le meurtre suffira, précisa-t-il laconiquement.
Tu n’as pas à t’en faire, mon gars. Ils passeront aisément sur les autres broutilles.
On ne pourra pas te punir pour cela, une fois qu’on t’aura condamné pour
meurtre. Cela constituerait ce qu’ils appellent une double peine, et c’est
interdit par les lois de la cité.
    Je lui jetai un regard aigre :
    — Vous plaisantez, vieil homme. Il haussa les
épaules.
    — Chacun illumine les ténèbres comme il peut.
    Nous restâmes tristement assis un moment. Puis je pris
la parole :
    — Vous êtes ici pour usure, n’est-ce pas ?
    — Nullement. Je ne suis ici que parce qu’une
certaine dame m’a accusé d’usure.
    — Sacrée coïncidence, dites-moi. Figurez-vous
que, si je suis ici, au moins indirectement, c’est aussi par la faute d’une
dame.
    — Ouais. Je n’ai employé ce mot que pour
qualifier son rang social. Car, en réalité, ce n’est qu’une... (il cracha par
terre) une shèquesa kàrove.
    — Je ne comprends pas vos termes étrangers.
    — Une putain de chienne galante, éructa-t-il en
guise de traduction, comme s’il crachait à nouveau. Elle m’a imploré de lui
consentir un prêt, me laissant en gage quelques lettres d’amour. Puis, s’étant
retrouvée dans l’impossibilité de payer et voyant que je ne lui rendrais pas
ses lettres, elle a voulu s’assurer que je ne les donnerais pas à un autre.
    Je secouai la tête, empli de compassion.
    — Votre cas est bien triste, mais le mien est encore
plus ironique. Ma dame attendait de moi un service et s’est offerte elle-même
en gage. La faveur demandée fut exécutée, mais pas par moi. Je ne m’en retrouve
pas moins ici, récompensé d’une façon fort différente ! Il se peut
d’ailleurs que ma dame ignore que je n’y suis pour rien. N’est-ce pas
ironique ?
    — Hilarant, marmonna-t-il dans sa barbe.
    — Oui, Ilaria ! Vous la connaissez
donc ?
    — Pardon ? (Il me fixa d’un regard furieux.)
Votre chienne s’appelle Ilaria, vous aussi ?
    Je lui rendis un regard tout aussi

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