Les voyages interdits
furieux.
— Comment osez-vous traiter ma dame de putain de
chienne ? Nous cessâmes alors de nous lancer des œillades courroucées et,
nous asseyant sur les lits de planches, nous entreprîmes de comparer nos
expériences. Il devint hélas très vite évident que nous avions bel et bien eu
affaire tous deux à la même Dona Ilaria. Je confiai au vieux Cartafilo la
totalité de mon aventure, la concluant en ces termes :
— Mais vous avez mentionné des lettres d’amour.
Or je n’en ai envoyé aucune.
Il répliqua alors :
— Je suis désolé d’avoir à vous l’apprendre,
jeune homme... Elles n’étaient pas signées de vous.
— Vous voulez dire qu’elle aimait quelqu’un
d’autre en même temps ?
— Il semblerait bien.
Je maugréai :
— Elle m’aurait donc séduit juste pour que je
sois son bras armé ! Je n’ai été qu’un sacré pigeon, dans cette affaire.
Je crois avoir été d’une stupidité exceptionnelle, même...
— Il semblerait bien.
— Quant au seul et unique message que j’ai
rédigé, actuellement en la possession des Signori délia Notte, c’est elle en personne qui a dû le glisser dans le mouchard. Mais enfin, pourquoi se
conduirait-elle de la sorte à mon égard ?
— Elle n’a plus besoin de son bravo. Son
mari étant décédé, son amant est désormais disponible, tu n’es qu’un élément
encombrant qu’il faut écarter.
— Mais je n’ai pas tué son mari !
— Dans ce cas, qui l’aura fait ? Sans doute
son amant. T’attends-tu qu’elle aille le dénoncer, alors que tu es le coupable
désigné et la garantie de son impunité ?
Je ne trouvai rien à répondre à cela. Un moment après,
il demanda :
— As-tu déjà entendu parler de la lamia ?
— Lamia ? C’est une sorcière, non ?
— Pas exactement. La lamia peut prendre la
forme d’une très jeune femme, très belle aussi. Elle fait cela pour
pousser les jeunes gens à tomber éperdument amoureux d’elle. Lorsqu’elle en a
ferré un, elle lui fait l’amour de façon si voluptueuse et si épuisante qu’il
se retrouve très vite à bout de force. Dès qu’il est assez faible et incapable
de se défendre, elle le dévore vivant. Ce n’est qu’un simple mythe, évidemment,
mais il demeure curieusement récurrent et vivace. Je l’ai rencontré dans tous
les pays que j’ai visités autour de la Méditerranée. Et j’ai beaucoup voyagé.
Il est étrange de constater le nombre de peuples différents qui s’accordent à lier
beauté et soif de sang.
Je réfléchis à cette observation et lâchai :
— En assistant à ta flagellation, elle souriait,
vieil homme.
— Tu ne m’en vois pas surpris. Elle atteindra
sans doute un sommet d’extase en te voyant livré au Viandeur.
— Au quoi ?
— C’est ainsi que les vétérans de la prison
appellent le bourreau. Le Viandeur.
Je me récriai, éperdu :
— Mais je ne peux pas être exécuté ! Je suis
innocent ! Je suis d’une grande famille ! Je ne devrais même pas être
enfermé avec un juif !
— Oh, pardonnez-moi, Votre Noblesse. L’obscurité
qui règne ici a dû affecter mon acuité. Je vous avais pris pour un banal
prisonnier jeté dans le Puits du Volcan.
— Je ne suis pas banal !
— Mes excuses, une fois encore, dit-il, et il
tendit la main dans l’espace situé entre nos deux lits.
Il captura prestement quelque chose sur ma tunique et
considéra sa prise de plus près.
— Ce n’est qu’une puce. Une puce tout ce qu’il y
a de banal.
Il l’écrasa entre ses deux doigts. Aussi banale que moi,
apparemment. Je grommelai :
— En tout cas, votre acuité m’a l’air tout à fait
correcte.
— Si tu es vraiment un noble, jeune Marco, tu
devrais faire ce que font ici tous les prisonniers nobles. T’agiter pour
réclamer une cellule individuelle, avec une fenêtre donnant sur la rue ou sur
l’eau. Tu pourrais alors laisser tomber une corde et passer des messages, ou
récupérer des douceurs, histoire d’améliorer ton ordinaire. Ce n’est pas
autorisé, en principe, mais dans le cas de gens issus de la noblesse le règlement
s’adapte.
— Tu as l’air de sous-entendre que je pourrais
être ici pour longtemps.
— Non..., soupira-t-il. Pas longtemps, sans
doute.
Le sens lourd de cette remarque me fit dresser les
cheveux sur la tête.
— Mais enfin, je te le répète, vieux fou :
je suis innocent !
Il me rétorqua alors, d’un ton brusque et empreint
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