Les voyages interdits
réprouvai vigoureusement les libertés que prenait Dahoud avec ma
personne et, lui saisissant la main, je la repoussai sans ménagement, puis me
dépêchai de revêtir les effets qu’il avait ôtés. Les garçons, le sourire aux
lèvres, haussèrent gentiment les épaules devant ma pudibonderie chrétienne,
tandis que Dahoud enfilait à son tour mes vêtements.
Le vêtement inférieur d’un Arabe comprend, comme les
chausses d’un Vénitien, deux jambes distinctes reliées en une fourche. Retenues
à la taille par une corde, elles descendent jusqu’aux genoux où elles
s’ajustent, mais, entre les deux, elles sont fort lâches au lieu d’être
serrées. Les garçons m’apprirent que le terme farsi désignant ce vêtement était pai-jamah, mais le meilleur équivalent français qu’ils purent trouver
fut « trousses ».
Le vêtement supérieur de l’Arabe n’est autre qu’une
chemise à manches longues, pas très différente des nôtres, à l’exception, là
aussi, de son amplitude plus généreuse. On porte par-dessus une sorte de surcot
nommé aba, juste fendu de deux ouvertures par lesquelles on passe les
bras et qui flotte librement tout autour du corps, presque jusqu’aux pieds. Les
chaussures arabes sont comme les nôtres, si ce n’est qu’étant d’une considérable
longueur et donnant à la partie inoccupée du soulier la forme d’un rouleau
recourbé vers l’arrière, elles sont conçues pour s’adapter à toutes les
pointures. Sur la tête, on porte un keffieh, une pièce de tissu assez
large pour pendre bien en dessous des épaules, en arrière et sur les côtés, que
l’on porte noué sur la tête par une corde.
À ma grande surprise, je me sentis plus au frais dans
cet ensemble. Je le portai un moment devant Dahoud, puis je repris ma tenue
d’origine, et la sensation de bien-être que j’avais ressentie persista un bon
moment. Ces couches successives de vêtements, loin d’étouffer la peau comme je
m’y attendais, semblaient à la fois retenir le peu de fraîcheur que pouvait
contenir l’air ambiant et constituer une barrière contre la chaleur du soleil.
Ces habits, amples par nature, étaient de fait vraiment confortables et pas du
tout oppressants.
Cette amplitude vestimentaire rendait pour moi
d’autant plus difficile à comprendre l’habitude qu’ont les garçons arabes (et
même tous les adultes mâles) d’uriner accroupis, un peu à la façon des femmes.
De plus, ils s’exécutent absolument n’importe où, sans prêter plus d’attention
aux autres que ces derniers ne leur en accordent. Lorsque je fis part aux
garçons de ma curiosité et de mon dégoût à ce sujet, ils voulurent savoir
comment nous autres, les chrétiens, procédions. Je leur expliquai que nous le
faisions de préférence debout, en un lieu clos et discret, nous dérobant aux
regards. Ils me firent alors comprendre que cette position érigée était
qualifiée de malpropre par leur livre sacré, le Coran, et qu’un Arabe, sauf
s’il avait à débarrasser ses intestins de façon plus conséquente, répugnait à
s’enfermer dans des cabinets, que l’on nommait mustarah. Pourquoi ?
Parce que ces lieux clos étaient des endroits dangereux. Cette assertion me
sembla bien étrange, et, ma curiosité étant à son comble, les garçons
décidèrent d’éclairer ma lanterne au plus vite. Comme les chrétiens, les
musulmans croient en l’existence de démons et de créatures maléfiques tapis
dans les profondeurs du sol. On les appelle ici djinn ou afarit. Or
ceux-ci peuvent aisément grimper en passant par ce trou creusé dans le sol sous
les lieux d’aisances. L’explication semblait plausible. Pendant longtemps, je
ne pus m’asseoir au-dessus de la fosse des commodités sans envisager avec
effroi l’étreinte possible de serres jaillies de l’au-delà.
Quel que soit l’aspect disgracieux de l’accoutrement
des Arabes dans la rue, il demeure mille fois plus agréable à l’œil que celui
de leurs femmes. Ce qui choque particulièrement les concernant, c’est justement
qu’on les différencie très mal des hommes. Les trousses, la chemise et l’aba
sont les mêmes, et, en définitive, seule leur coiffe permet de les distinguer.
Au lieu du keffieh, elles portent un tchador, ou voile, qui les recouvre du
haut de la tête jusqu’aux pieds, par-devant, par-derrière et tout autour
d’elles. Certaines ont un voile noir suffisamment fin pour qu’on puisse voir à
travers, d’autres
Weitere Kostenlose Bücher