Les voyages interdits
errâmes ensemble par les rues de la ville, et je leur désignai
de temps à autre un objet, le nommant en français ou en vénitien, avant de
demander : « Farsi ? » Ils me donnaient alors l’équivalent
dans cette langue, non sans s’être parfois consultés avant de tomber d’accord
sur le mot. J’appris ainsi qu’un marchand, un commerçant, bref toute sorte de
vendeur, se dit khaja ; que les jeunes garçons sont des ashbal, des
« jeunes loups », et que toutes les jeunes filles sont des zaharat, ou « petites fleurs ». Une pistache se dit fistuk, un
chameau est un shutur, et ainsi de suite. Ces mots de farsi devaient
m’être utiles durant mon voyage vers l’Orient. Ce fut un peu plus tard que j’appris...
les autres.
Nous passâmes par une échoppe où un khaja vendait
le matériel nécessaire à l’écriture, comme de jolis parchemins et des vélins
plus raffinés encore, mais aussi des papiers de qualité variée, du mince papier
de riz d’Inde à celui de lin du Khorasan en passant par le coûteux parchemin
tissu mauresque, ainsi appelé en raison de son élégance et de sa douceur au
toucher. J’en choisis un qui correspondait à mes moyens, de qualité
intermédiaire mais résistant, et priai le khaja de bien vouloir me le
découper en feuilles assez petites pour pouvoir être aisément transportées.
J’achetai aussi quelques craies pour pouvoir écrire lorsque je n’aurais pas le
temps de préparer la plume et l’encre. Aussitôt, je me mis en devoir de
commencer la rédaction de mon premier lexique de mots inconnus. Plus tard, j’y
ajouterais les noms des endroits que je traverserais, ceux des gens que je
rencontrerais, ainsi que les incidents qui auraient lieu, jusqu’à ce qu’en fin
de compte ces papiers constituent un véritable carnet de route de mes voyages
et de toutes mes aventures.
Midi venait de sonner, et, tête nue sous le soleil
brûlant, je commençais à transpirer. Les garçons, qui s’en étaient aperçus, suggérèrent
par gestes en pouffant de rire que, si j’avais si chaud, c’était à cause de mon
accoutrement comique. Ils avaient l’air de trouver particulièrement drôle le
fait que mes jambes grêles fussent exposées à la vue, quoique enserrées dans
mes bas vénitiens. Je leur répliquai que je trouvais tout aussi risibles leurs
amples et volumineuses robes bouffantes, laissant entendre qu’elles devaient
être encore plus pénibles à porter, par une telle chaleur. Mais ils
contre-attaquèrent, affirmant qu’elles constituaient au contraire le seul
vêtement adapté au climat. Finalement, désireux de tester nos arguments
respectifs, nous nous rendîmes dans une impasse discrète où Dahoud et moi
échangeâmes nos vêtements.
Naturellement, dès que nous nous retrouvâmes nus l’un
et l’autre, une tout autre différence entre chrétiens et musulmans nous sauta
aux yeux, provoquant un examen mutuel et force exclamations dans nos langages
respectifs. Je ne savais pas exactement, jusqu’alors, quel genre précis de
mutilation était pratiqué lors de la circoncision, et, de leur côté, ils
n’avaient encore jamais vu un garçon de plus de treize ans ayant la fava enveloppée
de sa capèla.
Nous détaillâmes tous attentivement les différences
entre Dahoud et moi. Comment, par exemple, son gland, puisque toujours exposé,
était sec, brillant, presque squameux et piqueté de petits morceaux de tissu et
de duvet, tandis que le mien, que je pouvais couvrir ou exposer à ma guise,
était plus flexible, malléable et velouté au toucher, même si, comme à présent,
en raison de l’attention dont il était l’objet, il s’érigeait et devenait plus
ferme.
Les trois garçons arabes se mirent alors à émettre des
remarques excitées qui pouvaient signifier : « Essayons donc ce
nouvel instrument ! », ce qui, bien entendu, n’avait pour moi aucun
sens. C’est alors que Dahoud, encore dénudé, entreprit de me donner un aperçu
expérimental de la chose. Passant la main derrière lui, il attrapa mon candelòto, le dirigea vers son derrière efflanqué qu’il tortillait vers moi tout en se
déhanchant et me susurra d’une voix enjôleuse : « Kus !
Baghlah ! Kus ! » De leur côté, hilares, Ibrahim et Nasser
faisaient, le majeur érigé en doigt d’honneur, des gestes non équivoques
d’intromission tout en criant : « Ghunj ! Ghunj ! »
Quoique je n’entendisse rien à leurs mots ni à leurs
mimiques, je
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